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Women In Innovation Forum 2018 ou comment conjuguer innovation et diversité

Devenu le rendez-vous annuel incontournable de New-York, le W.In Forum a su réinventer son approche pour sa troisième édition, ce 20 mai 2018. Cette fois, la pétillante et énergique Catherine Barba a ouvert le bal en nous promettant d’apporter des réponses à la difficile question de l’innovation et de la diversité. Après deux éditions, le champ d’examen s’ouvre donc et est étendu à la diversité en général, dépassant le seul cadre des femmes. Une problématique abordée sous une multiplicité d’angles, de la politique à la finance en passant par l’entreprenariat et la jeunesse.

Chaque année, le W.In. Forum NY accueille des visiteurs toujours plus nombreux : 700 personnes venues du monde des start-ups, de l’entreprise et du secteur public se sont, cette fois, réunies pour assister à des débats autour de l’innovation et de la diversité. Comment l’une entraine l’autre ? Comment concilier les deux ? Comment imposer la diversité au sein des organisations ? Comment innover en confrontant des personnalités diverses ? La diversité est-elle un levier pour l’innovation ? Des experts et des témoignages inspirants à foison, de quoi réfléchir à une nouvelle approche de l’entreprise et, plus largement, de la société : telle était la proposition de Catherine Barba, femme d’affaires et de communication toujours à la pointe sur ces sujets.

Il est toujours difficile de débattre de diversité et d’innovation sans tomber dans des lieux communs ou énoncer des platitudes. On le sait, la diversité favorise la croissance économique des entreprises. On sait également que c’est une condition sine-qua-non de la bonne santé d’une société dans son ensemble. Ce sujet, si souvent traité par les médias et pourtant en cruel manque de solutions concrètes, en était presque devenu lassant. Heureusement, le W.In Forum NY 2018 a su éviter cet écueil en faisant intervenir des profils peu connus, sortant de l’ordinaire et toujours d’une grande qualité. On compte ainsi, parmi les intervenants, un futur candidat à la présidentielle américaine, une athlète de haut niveau, des chercheurs, des cadres de tous secteurs, des auteurs, des fondateurs de start-ups de tous âges et venus de tous horizons. Réunir un tel éventail de profils était une gageure mais surtout la preuve que c’est lorsque l’on confronte des points de vue différents qu’émergent des idées toutes nouvelles.

Sur le plan politique tout d’abord. Car il fut souvent question, au sein des débats, d’innovation civique et de redéfinition des valeurs qui doivent guider le monde. Avec l’accroissement des échanges entre les populations, la montée en puissance des réseaux sociaux et la radicalisation des discours, le modelé économique actuel touche ses limites. Les Etats-Unis voient leur espérance de vie baisser avec une grande vague de suicides et d’accidents graves. Plus d’humanité, plus d’entraide, plus de dialogue, tels sont les points sur lesquels fonder la politique de demain. C’est ce que défend Andrew Yang, futur candidat démocrate a la présidentielle, désireux de sortir les Etats-Unis de l’ère Trump, qu’il juge clivante, conservatrice et consumériste. Son programme : rassembler les individus foncièrement différents pour faire émerger une nouvelle façon de faire de la politique, au service de tous. La société ne s’élèvera que si elle promeut cette diversité.

Concernant le monde de l’entreprise, le panel d’experts et d’intervenants couvrait un très large spectre : de l’entrepreneur individuel à la multinationale, on apprend que la diversité est au cœur de toute innovation. Diversité entre les générations tout d’abord, quand un architecte, patron de Woodoo, nous montre comment faire du neuf avec du vieux et explorer des matériaux traditionnels avec notre technologie actuelle. Diversité entre hommes et femmes : des femmes charismatiques prennent la parole pour prouver que leur parcours est tout aussi méritoire que ceux de leurs homologues masculins. Diversité physique : une mannequin nous parle de son combat contre les préjugés grossophobes de l’industrie de la mode. Diversité ethnique, handicap, dépassement par le sport… tous les cas ont été traités en cinq heures.

Enfin, on apprend qu’un sondage de Forbes a fait apparaitre que 58% des dirigeants pensaient que la diversité dans l’entreprise était cruciale pour sa réussite. De ce constat aux faits, il y a pourtant un grand pas que nous n’avons pas encore franchi. Il faut alors parfois employer la méthode forte et contrôler, par exemple, la visibilité des femmes. C’est ce que s’attache à faire Bloomberg News, notamment : « Nous prenons en compte qui écrit les articles, qui sont nos sources, qui sont les personnes citées dans les articles, qui apparait sur les photos », explique Laura Zelenko, senior executive director. Tous les managers sont incités à rendre les femmes aussi visibles que les hommes. Un outil informatique a même été mis en place en interne pour effectuer une veille par journaliste, par équipe et par type d’article. « Malgré tous ces efforts, cela reste une tâche très difficile à accomplir », avoue Laura Zelenko.

Au terme de cette intense journée, le défi proposé de prime abord par la maitresse de cérémonie est largement relevé. On ressort de ces sessions avec un espoir immense pour la suite et la conviction qu’il existe une communauté grandissante qui vise plus de brassage, plus de diversité et d’échanges pour faire émerger des idées nouvelles. Merci à Catherine Barba de réunir, chaque année, des intervenants de qualité portant un discours d’espoir aussi fort !

Le top 5 phrases entendues au Win Forum NYC 2018 :

« We need to prioritize humanity over the market », Andrew Yang, futur candidat democrate a la presidentielle americaine

« Nous avons une responsabilité collective : celle de réinventer le système dans son ensemble », Anne-Claire Legendre, Consul général de France a NY

« Chacun doit créer le mode de vie qui lui convient le mieux. Il faut créer sa propre normalité », Georgia Garinois Melenikiotou, executive VP chez Esthée Lauder

« Une équipe est beaucoup plus créative quand elle rassemble des gens de générations et d’horizons différents », Carlos Ghosn, PDG de Renault

« Je n’ai jamais pensé une seule seconde que j’étais différente parce que j’étais la seule femme assise à une table de réunion. La tolérance et la diversité commence par l’éducation que l’on a reçue à la maison », Mayar Gonzalez, Directrice générale de Nissan Mexique.

 

 

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Communication et médias aux Etats-Unis : les sites incontournables

C’est après l’audition de Mark Zuckerberg au Sénat américain que j’ai souhaité comparer les différentes analyses faites par la blogosphère et les médias US. Si beaucoup se sont amusés de la pâleur du teint de Mark, de son coaching pour sembler plus humble ou du rehausseur dont il a bénéficié, peu d’observateurs ont réellement étayé l’analyse de ce qui était en train de se jouer sous nos yeux : la place des réseaux sociaux, leur définition, leur responsabilité politique et éthique.

A cette occasion, j’ai parcouru la blogosphère afin de sélectionner les meilleurs sites en ligne qui suivent au plus près l’actualité des médias et les évolutions dans le secteur de la communication aux Etats-Unis.

Voici ma short-list :

  1. Stratechery : Les années passent et il reste LE blog incontournable. Doté d’une énorme capacité d’analyse, parfaitement objectif et souvent intelligemment prospectif, l’auteur, Ben Thompson, pour ne pas le nommer, va au bout d’un travail de recherche très conséquent. Ce qu’il m’a appris ? Principalement à appréhender les écueils des médias classiques qui tentent de composer avec l’émergence des réseaux sociaux. Longue vie à ce blog souvent suivi par start-uppers et VC.
  2. Digiday: Crucial si l’on veut suivre en temps réel l’actu de la tech, de la communication, du marketing et des médias. Des articles à foison, des analyses originales et des propos d’insiders, tel est le pari que relève tous les jours Digiday.
  3. Nieman Journalism Lab : Hébergé au sein de la prestigieuse Nieman Foundation of Journalism de Harvard, cet organisme a pour vocation de dessiner les contours du journalisme de demain. On y trouve, pêle-mêle, les innovations des médias classiques pour contrer ou accompagner la montée des réseaux sociaux, le positionnement de ces derniers face aux polémiques récurrentes et les fameux rapports sur la profession de journaliste de la fondation éponyme. Le plus : ce centre de recherche est constructif et, surtout, optimiste pour le journalisme de demain !

Mais aussi…

  • CREATIVITE Ancien journaliste chez Fast Company, Newsweek, Forbes et LifeHacker, Paul Jarvis mêle habilement créativité et business dans sa newsletter publiée tous les dimanches. Un bon moyen de se tenir au courant des dernières tendances en marketing, communication et start-ups.
  • VENTURE CAPITALISTS ET TECH Benedict Evans Depuis 2013, Benedict Evans diffuse une newsletter hebdomadaire à ses 65000 abonnés. Cet investisseur chez Andreessen Horowitz sélectionne dans l’actualité les sujets les plus marquants autour de la tech et du Capital Innovation. On salue toujours son recul et son sens de l’anticipation sur les sujets de demain.
  • REFLEXION Azheem Azar Ce journaliste anglais, ancien du FT, creuse chaque semaine deux ou trois grands sujets qui touchent à la fois à l’économie, à la société et à la technologie. De l’Intelligence Artificielle à la block-chain en passant par la politique américaine, l’angle est toujours très ouvert et cherche à susciter la réflexion et la discussion.

 

 

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La vidéo dans les médias : piège ou planche de salut ?

Chaque minute, 400 heures de vidéos apparaissent sur la plateforme Youtube, soit 210 milliards d’heures par an. Un taux de croissance exponentiel, porté par une demande toujours plus vertigineuse de la part des internautes. Si l’attrait pour l’image en mouvement est bien palpable, quelles sont les implications de cette tendance de fond pour le secteur des médias ?

En décembre dernier, le Huffpost américain, mu par l’essor de la vidéo en ligne, a remplacé les images statiques par des GIF, en guise de produit d’appel pour ses vidéos. Ce changement en apparence anodin a pourtant incité les lecteurs à cliquer plus souvent sur les articles ainsi illustrés : en à peine trois mois, le nombre de vidéos visionnées par des utilisateurs uniques a augmenté de 27%. Mark Zuckerberg, lors de la conférence annuelle des développeurs, en avril dernier, a à son tour assumé la primauté à la vidéo : « [La vidéo] est devenue plus centrale que le texte : l’écran de visionnage doit donc prendre plus de place que l’espace dédié à l’écrit, et ce sur toutes nos applications ». Le corollaire est le lancement de Watch, espace dédié à des programmes vidéo exclusifs. Dans le sillage de cette idée, une nouvelle expression consacrée est apparue dans le secteur des médias, « Pivot to video ». Ce terme marketing, utilisé plus de 14 000 fois cet été sur les réseaux, désigne le passage du texte à l’image en mouvement, de l’écrit à la caméra. Une mode qui est même devenue un motif de plaisanterie, comme l’illustre le tweet de cette journaliste de Skynews, Molly Goodfellow. (« Comment avouer à mon meilleur ami que je souhaite que notre relation pivote vers la vidéo ? »)

mobile goodfellow

Aux Etats-Unis, le premier journal à avoir pris ce virage fut, l’an dernier, Mashable, qui décida de se séparer d’une partie de ses rédacteurs pour engager des spécialistes de la vidéo. Un mouvement qui fit, en quelques mois, un grand nombre d’émules pour atteindre un pic cet été : MTV News puis Sport Illustrated, Fox Sports, Vocative, Mic et, enfin, Vice, comptent désormais remplacer une partie de leurs « writers ». Objectif affiché : devenir les « leaders du vidéo-journalisme »…. en mettant au placard les journalistes de presse écrite. Au sein des rédactions, certaines voix (voir cet article, par exemple) se sont élevées contre ces pratiques, voyant derrière ce repositionnement une bonne raison de réduire des équipes de rédacteurs jugées trop nombreuses. Ce graphique, qui recense les licenciements liés directement aux nouvelles stratégies orientées vidéo, parle de lui-même.

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SOURCE : Digiday

Mais la stratégie du « Pivot video » constitue-t-elle réellement la planche de salut des médias à la recherche de business models pérennes et de plus en plus dépendants des réseaux sociaux ?

On serait tenté de répondre par l’affirmative car, de fait, certaines histoires font rêver. C’est le cas de « Brut », lancé en France en novembre 2016 par le producteur Renaud Le Van Kim et le co-créateur de Studio Bagel, Guillaume Lacroix. En moins d’un an, ce tout nouveau média dépasse les 100 millions de vues avec ses formats vidéos courtes, diffusées  sur Facebook et autres YouTube, et s’exporte aux Etats-Unis en embauchant sur place une équipe de 15 personnes. Dans la même mouvance, Keli Network s’est donné comme mission de créer une nouvelle génération de médias. L’idée centrale est de créer des médias thématiques 100% vidéo, diffusé exclusivement sur les réseaux sociaux. Pour l’instant quatre marques ont été lancés sur des sujets dont les internautes sont friands : jeux vidéo (Gamology), football (OhMyGoal), beauté (Beauty Studio) et innovation (Genius Club). Selon Michael Philippe, co-fondateur de cette société, cette démarche est au coeur d’une triple révolution : l’explosion du mobile comme support, la consommation sur les réseaux sociaux et l’explosion de la vidéo. Keli Network a d’ores et déjà levé 2 millions d’euros auprès de fonds comme Partech, OneRagTime, de business angels et de Broadway Vidéo Ventures (producteur connu de Jimmy Fallon). « Nous avons saisi l’opportunité dès qu’elle s’est présentée : dès qu’il y a une disruption, les premiers à prendre la place deviennent souvent des leaders. A l’époque du SEO, Aufeminin.com ou Doctissimo.fr avaient pris la balle au vol et n’ont, depuis, jamais perdu leur statut. C’est le même phénomène que l’on observe aujourd’hui avec la vidéo sur les plateformes sociales ». Keli Network a ainsi enregistre 1,9 milliard de vues sur le seul mois d’aout 2017.

A première vue, le marché de la vidéo est bien une vraie poule aux oeufs d’or pour médias et publicitaires : selon eMarketer, l’investissement dans la publicité vidéo a atteint 10 milliards de dollars l’an dernier aux Etats-Unis. Et les projections du même institut sont très favorables : ce marché devrait dépasser les 18 milliards en 2020, au point que les agences de publicité américaines consacrent aujourd’hui plus de la moitié de leur budget à ce type de format.

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Source: eMarketer

A cette croissance s’ajoute une dépendance toujours plus prégnante des médias aux plateformes sociales. Ces dernières, qui ne se cachent plus d’encourager les contenus vidéos en les promouvant sur le fil des internautes, ont une force de frappe telle qu’il s’agit, pour les médias, d’y être plus présents que jamais.

Mais attention : si tous ces indicateurs semblent converger, la réalité est pourtant beaucoup plus nuancée.

D’après ComScore, les médias qui ont « pivoté » à l’été 2017 ont vu leur audience chuter en moyenne de 60% au mois d’août par rapport à août 2016. Ainsi, Mic est-il passé de 17,5 millions de visiteurs à 6,6 millions (août 2016-août 2017) et l’interview exclusive d’Hillary Clinton revenant sur la dernière campagne présidentielle n’a enregistré que 26 000 vues sur Facebook. Comment expliquer un tel naufrage ?

Contrairement aux idées reçues, les jeunes générations sont plus friandes de textes que d’images animées quand il s’agit d’informations, comme le prouve cette étude récente  du Pew Research Center. Les 30-49 ans privilégient la lecture d’articles (40%) au visionnage (39%) tandis que les 18-29 sont lecteurs à 42% (contre 38%). Contrairement à l’hypothèse faite par certains médias, l’augmentation du nombre de vidéos publiées sur internet ne relève pas d’une demande nouvelle visant le secteur des médias, en tous cas pas pour le domaine de l’information pure et dure. L’étude de Reuters Institute, le Digital News Report, corrobore cette idée : « malgré l’exposition croissante aux vidéos d’information, les préférences des internautes ont peu changé ces dernières années. 71% d’entre eux lisent des articles et 14% aiment de façon indifférente le texte ou la vidéo ». Joshua Benson, directeur du Nieman Lab, résume bien la situation : « L’idée juste selon laquelle les gens aiment les vidéos ne signifie pas qu’ils aiment les vidéos d’information ».

pew research center

Quels contenus cherchent donc les internautes quand ils regardent des vidéos ? Une étude récente menée par Buzz Summo sur un échantillon de 100 millions de vidéos postées sur Facebook a démontré que les thèmes qui génèrent le plus d’engagement sur les réseaux sont : la cuisine, la mode et les animaux…. la politique arrivant, par exemple, dans la partie basse du classement.

buzsumoA cela s’ajoute, pour les médias faisant le choix de la vidéo, un problème d’équilibre financier profond. D’une part, la monétisation de la vidéo sur les plateformes sociales reste à ce stade très limitée : il ne faut pas oublier que Google et Facebook s’octroient aujourd’hui 99% des revenus publicitaires digitaux (rapport IAB). Il devient difficile pour les médias qui publient sur les réseaux sociaux de savoir ce que rapporte réellement leurs contenus à ces derniers en termes publicitaires… sachant que les statistiques des plateformes sociales restent très opaques pour tout le monde. Facebook dit, par exemple, toucher plus de jeunes Américains qu’il n’en existe réellement ! D’autre part, pivoter vers la vidéo n’est pas sans engendrer des coûts supplémentaires cachés pour les médias : quand on publie un contenu, il faut s’acquitter de sommes conséquentes pour qu’il soit diffusé largement. Certains médias, comme le Chicago Tribune, voient que les articles et vidéos sont de moins en moins regardés sur Facebook alors même que le nombre de followers du journal augmente. La faute à un algorithme particulier et à l’avalanche d’informations qui déferle sur les réseaux. Enfin, les médias doivent aussi investir dans du matériel adéquat et embaucher des spécialistes de la vidéo pour obtenir des produits de qualité… ce qui n’est pas moins onéreux qu’une solide rédaction de journalistes rédacteurs.

Pivoter vers la vidéo semble donc être un doux mirage auquel ont cru beaucoup de médias. Mais n’y a-t-il que des perdants dans cette bataille ? Loin de là : les purs players vidéos tirent aujourd’hui leur épingle du jeu. Démarrant à petite échelle, ils constituent progressivement leurs équipes avec des coûts fixes qui n’augmentent ensuite qu’en fonction de la demande et proposent des contenus qualitatifs pour toucher un public cible bien défini. C’est le cas de Brut, cité en début d’article, mais aussi de Konbini, qui ont bien su trouver leurs créneaux. Ce pur player de la vidéo dit « utiliser le levier de la pop-culture, c’est-à-dire traiter des sujets du quotidien pour susciter la discussion », selon les mots d’un de ses responsables. En publiant deux à trois vidéos par jour, Konbini s’est forgé une connaissance approfondie des 18-34 ans et de leurs attentes en termes d’information. Le groupe ne cherche pas la quantité de vues mais un réel engagement chez ses lecteurs.

Dans ce cadre, ces nouveaux médias s’appuient en général sur un business model simple : ils vendent du brand content sous forme de films aux marques et aux agences de communication pour financer, en parallèle, les vidéos plus « sérieuses » et indépendantes. Comme on le sait, avec Tasty, Buzzfeed a ouvert la voie à un nouveau type de médias qui créé lui-même son pôle publicitaire pour contourner la fuite des revenus publicitaires sur les réseaux sociaux. Aux confins de l’info et du loisir, l’infotainment a donc des ailes qui poussent…. ce qui peut, évidemment, susciter la critique : « Buzzfeed et Vice ont fait du mal à la profession de journaliste en faisant planer le doute sur l’impartialité de l’info et des messages véhiculés dans les vidéos. Il est pourtant aisé d’afficher clairement si le film est sponsorisé ou non. C’est notre choix depuis nos débuts et c’est ce qui fait aussi notre notoriété », explique un professionnel des medias.

« Il est aujourd’hui impossible de créer une boîte de médias qui se passerait des réseaux sociaux car toutes les audiences y sont présentes. Néanmoins, il ne faut pas oublier que ces plateformes ont besoin des éditeurs car elles vivent en partie de nos contenus », explique Michael Philippe. C’est bien sur ce constat que doivent s’appuyer les médias sans pour autant renier leur ADN au risque de s’effondrer. La vidéo peut sauver une partie des médias, ceux qui sont jeunes, agiles et dont le business model reste flexible. Pour les autres, le « pivot to video » n’est pas la meilleure idée qui soit.

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La troisième vague du journalisme aux US : les médias à la recherche du business model idéal

« Facebook est plus qu’une entreprise technologique, c’est une plateforme d’information » : cette phrase de Mark Zuckerberg, prononcée fin 2016, sonne comme un aveu et modifie radicalement la position officielle que ce dirigeant avait soutenue jusque-là. Les réseaux sociaux ont, en un court laps de temps, remplacé les médias en publiant de l’information gratuite, à même de toucher un public infiniment plus vaste que celui des médias traditionnels.. Au fil du temps, Google, Twitter, Facebook et consorts sont devenus de vrais « publishers » qui compilent et diffusent des articles, remettant par là même en cause les Business Models des médias américains classiques. Face à ce constat définitif et irréversible, les journaux US se sont vus contraints d’entrer dans « la troisième vague du journalisme » et ont été mis en demeure de concevoir rapidement de nouvelles voies de monétisation.

Clap de fin pour les Business Models des années 2000

Le dernier rapport du TowCenter for Journalism de Columbia, publié en mars 2017, évoque pour la première fois l’expression « troisième vague du journalisme », une notion qui fait référence à l’évolution rapide des pratiques médiatiques. Comme cela a souvent été observé, d’un modèle traditionnel, les médias sont progressivement passés à la digitalisation dès 1994 et l’avènement du web, plus largement diffusé à la fin des années 1990. Lors de cette phase –dite « deuxième phase du journalisme »- la préoccupation majeure des journaux était de transposer leur activité historique matérielle sur internet, sans pour autant remettre en cause leur business model traditionnel.

En effet, les médias ont longtemps fonctionné de la façon suivante : contenu et publicité (rectangles jaune et vert dans le schéma ci-dessous) étaient intégrés à un support (journal, télévision, radio…) puis distribués au public. Les médias dominaient de bout en bout cette chaîne.

Source : Straterchery

Lors de cette phase de digitalisation, les médias ont été convaincus que seul le support de consultation serait modifié et que le web serait un nouveau vecteur d’information, au même titre que la télévision ou la radio l’avaient été à une autre époque. Lors de cette phase, de nouveaux médias entièrement digitaux ont émergé, du Huffington Post à Buzzfeed, bénéficiant d’un accès accru à l’internet haut débit et à la démocratisation rapide du web.

Cependant, après ce passage au digital, les trois principales sources de revenus des médias se sont progressivement taries. « La première d’entre elles sont les petites annonces, dont la consultation est plus aisée sur le web grâce aux filtres, qui ont progressivement été soustraites aux journaux par des sites spécialisés comme Craiglist (l’équivalent de notre Bon Coin). C’est l’exemple-type de l’effet internet sur un secteur classique de l’économie : le premier domino à s’effondrer sur une longue chaîne. Ce changement de paradigme a ôté aux médias des revenus mais surtouti une part de leur audience… après, ce fut au tour des rubriques spécialisées puis des tribunes (pillées par les blogs) », explique Paul Strachman, investisseur chez ISAI et spécialiste de la tech. En parallèle, Google a capté le marché de la publicité. Enfin, la troisième source de revenus, les abonnements, a rencontré de grandes difficultés à résister au tout-gratuit. Face à cette évolution rapide, les grands médias ont cherché, à tâtons au départ, un nouveau modèle de développement, sans parvenir à revenir au niveau de revenus antérieur l’apparition du web.

Source : Straterchery

Ben Thompson, analyste et auteur du blog Straterchery, parle de « unbundling » (dégroupage, ndlr) pour décrire le phénomène : les médias ne dominent plus que la partie « Contenu » de la chaîne dont on parlait plus tôt.

Ce manque à gagner des entreprises de médias explique notamment la dégradation des conditions de travail des journalistes et les coupes claires dans les effectifs des grandes rédactions. Depuis l’avènement du web, le nombre d’employés a commencé à décliner au sein, notamment, de la presse écrite américaine.

Pour le grand public, la remise en cause du modèle intégré des médias traditionnels revêt nombre d’aspects positifs : enfin, on a accès, sans débourser un centime, à des sources d’informations multiples et de qualité… avec certaines limites. « La démocratisation d’internet a mis les internautes et les journalistes au même niveau : les premiers pouvaient, commenter, répondre, questionner, interpeler les auteurs d’articles, voire les rédactions de grands médias. Encore plus important, ce phénomène a créée une croyance parmis ces internautes que « mon ignorance vaut autant que leur savoir », avec une dégradation de la considération portée aux medias en genéral et au rôle de journaliste en particulier », explique Pierre Putois, responsable du bureau new-yorkais de Fabernovel. D’un point de vue social, le citoyen retrouvait un rôle actif au sein du système de l’information, de la démocratie, il pouvait organiser des mouvements citoyens ou faire entendre sa voix… tout en portant atteinte au rôle traditionnel des journalistes.

Selon les chercheurs de Columbia, l’ère de l’open web a atteint ses limites au moment où les consultations d’information via les smartphones et le web mobile privé ont pris la place des ordinateurs, soit à la fin des années 2000. Cette modification des usages a accéléré la montée en puissance d’une poignée de géants qui dominent aujourd’hui internet. « Lors des deux dernières années, la fusion des contenus d’information et des plateformes comme Facebook, Twitter, Snapchat et Google s’est fortement accélérée », expliquent les chercheurs du Tow Center. Dans l’histoire, aucun média n’a jamais bénéficié de l’audience de ces quelques acteurs. En 2016, eux seuls, ils concentrent 65% des recettes de publicité sur la toile, laissant les sites des médias classiques très loin derrière eux. Une tendance qui tend à s’accélérer puisque Facebook et Google s’arrogent aujourd’hui 90% de la croissance des revenus publicitaires. « L’influence de ces grandes sociétés sur les échanges d’informations est souvent gérée par des systèmes socio-techniques cachés et sous-tendue par des intérêts privés et non publics », note le rapport du Tow Center.

Des pistes pour de nouveaux Business Models

Face à cette évolution, les médias cherchent une porte de sortie. Comme le souligne Shane Smith, dirigeant et fondateur de Vice, interrogé par les chercheurs de Columbia : « En publiant sur les plateformes, vous donnez les clés de votre destin à un inconnu. Mais si vous n’êtes pas présent sur ces réseaux sociaux, dans ce cas, vous êtes morts, mais si vous y êtes distribués, alors vous ne gagnez plus d’argent (…) voilà le plus grand défi à relever pour les médias ».

 Dans le monde, certains médias continuent à miser sur leur site web, mais sont confrontés à d’autres écueils : les frontières entre la publicité et le contenu éditorial s’estompent progressivement. Les publicités « native », (ces « faux » articles à sensation que l’on trouve souvent en fin de page), « polluent » les grandes pages des médias et peuvent décrédibilisr leur contenu.

Aux Etats-Unis, dont les évolutions dans le domaine des médias et de la communication précèdent parfois celles du reste du monde, la remise en question de ce modèle est particulièrement profonde. Pierre Putois, qui dirige le bureau Fabernovel à New-York et aide les entreprises internationales à réussir leur transition vers le digital, en faisant interagir les médias français avec leurs homologues américains, note : « Après la perte d’une génération entière qui a cessé d’acheter les journaux de leurs parents, les médias américains ont compris qu’il fallait travailler cette audience en deux temps : séduire d’abord et fidéliser, voire faire payer ensuite.».

Ici, les médias essaient donc de trouver un Business Model idéal en lançant des projets qui durent quelques semaines, dans une perspective expérimentale très pragmatique pour toucher ces lecteurs potentiels. Les journaux produisent donc des contenus « natifs », c’est-à-dire dédiés aux réseaux sociaux et des contenus postés sur les réseaux, mais qui renvoient à leur page web (dit « networked content »). Ce « mix produit », comme on l’appellerait en marketing, varie selon les médias. Par exemple, quand le New York Times produit 16% de « native content » dédié uniquement aux plateformes (données de la semaine du 6 février 2017), Huffington Post en produit jusqu’à 66% sur la même période. Quel intérêt de délivrer du contenu sur les réseaux uniquement ? On assiste aujourd’hui au balbutiement de la monétisation. Ainsi, Facebook propose de partager avec les médias une partie des recettes publicitaires liées aux contenus des Facebook Instant Articles. De son côté, Snapchat négocie également avec les médias – même si cette pratique est très récente et se fait encore au cas par cas.

Toutefois, la dépendance aux médias sociaux n’est pas la panacée car elle comporte un certain nombre de risques. D’une part, les engagements financiers pour produire des contenus sur-mesure dédiés aux réseaux sociaux sont conséquents et engendrent des revenus directs et indirects difficiles à mesurer. A cela s’ajoute l’impossibilité de vérifier les données de trafic fournies par la plateforme et les revenus qui en découlent. Certains médias, comme Buzzfeed ou NowThis News, qui n’existent que grâce aux partenariats avec Facebook et consorts sont vulnérables, car ils dépendent entièrement de la stratégie des grands réseaux sociaux. Passer au digital, oui, mais pour les grands médias, on préfère conserver et préserver une marque forte, du New York Times au Washington Post, en cas de nouveau changement de paradigme.

« Pour l’instant, personne n’a trouvé la formule magique, conclut Pierre Putois. Certains, pourtant, se prennent à imaginer un modèle complètement nouveau, où les médias pourraient créer leur plateforme commune, à l’image de Spotify pour la musique : un portail payant qui donnerait accès à l’information et proposerait des articles complémentaires –provenant de médias divers- à l’internaute, avec une approche thématique transverse ».

 

Une autre option, que certains grands médias américains étudient déjà, serait de développer une offre liée au fact-checking de l’information disponible. Alors que le consommateur de médias tend vers un scepticisme toujours plus important à l’égard des médias classiques, parfois entretenu par un discours politique très critique à leur égard, proposer une « garantie de vérité » pourrait également s’avérer efficace et constituer une nouvelle source de revenus. En effet, derrière le renouvellement profond et contraint des business models médiatiques outre-Atlantique, se jouent des enjeux politiques fondamentaux, notamment autour de la place de l’information dans nos démocraties.

NDLR: Cet article est aussi paru sur le site de Kablé Communication: http://www.kable-communication.com/fr/2017/04/19/medias-reseaux-sociaux-le-nouveau-businessmodel/

 

 

 

 

 

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Les médias au temps de Trump

Résidente aux Etats-Unis, il me paraissait impossible de ne pas aborder le sujet de la presse sous Trump. Ce thème est tellement vaste et nouveau qu’il est extrêmement compliqué de comprendre quelles sont les forces en jeu ici et leurs interactions. Réseaux sociaux, presse traditionnelle, relations publiques et liberté d’expression… l’intrication de tous ces sujets donne lieu à une situation ubuesque qui suscite autour du monde tantôt l’indignation, tantôt le rire ou l’effarement. Comment les journalistes peuvent-ils aujourd’hui composer avec un président qui n’a que faire de la vérité ou de la transparence ? Doivent-ils revoir leurs missions ? Gardent-ils espoir dans le débat démocratique ?

medias au temps de Trump

Mi-février, la grande campagne du New York Times pour la vérité, dont un spot est passé lors de la remise des Oscars, a fait la Une des réseaux sociaux outre-Atlantique. Qui aurait imaginé un jour ce grand quotidien devoir se battre de façon aussi frontale en faveur de la vérité mais en même temps contre le pouvoir politique en place ? 

Depuis le début de la campagne pour la présidentielle, les rapports entre les candidats et les médias ont connu une véritable évolution, devenue une révolution en un an à peine. Aujourd’hui, un mois après l’investiture, les médias n’ont plus d’état d’âme à parler de « mensonges » concernant les déclarations fantaisistes de Donald Trump. Le même New York Times n’a pas hésité à utiliser ce terme dans un de ses grands titres, une première historique.

Pour de nombreux observateurs,  Trump, en érigeant les médias en traîtres, a voulu créer une force d’opposition située hors du scope politique. « Pour lui, la presse poursuit une idéologie contre laquelle il faut s’insurger. Ce point de vue est assez inquiétant pour nous, journalistes, mais également pour la démocratie », explique Julian Sancton, journaliste à Departures Magazine et observateur de la vie politique  américaine. L’Histoire nous apprend en effet que le pouvoir totalitaire commence toujours par manipuler la réalité des faits au profit des dirigeants. Dernièrement, le sénateur Républicain Mc Cain, qui est en théorie un allié du nouveau président, a d’ailleurs comparé la stratégie médiatique du Président Trump aux dictatures qui font taire la presse dès la prise de pouvoir. L’ancien président George W Bush a également souhaité s’exprimer en ce sens, faisant un retour remarqué sur la scène médiatique. Un sujet qui interroge, au point que le livre 1984 de George Orwell se trouve aujourd’hui au sommet des ventes aux Etats-Unis.

Médias et analystes parlent désormais de l’ère de la « post-vérité » dans laquelle tous les points de vue se valent, même s’ils ne reposent plus sur les faits avérés. Comment les médias peuvent-ils se positionner au sein de ce nouvel environnement ? « Les médias américains se gardent aujourd’hui d’afficher des positions idéologiques. Bien au contraire, ils reviennent aux fondamentaux du journalisme : rapporter les faits tels qu’ils se sont déroulés », souligne Julian Sancton. « Les propos de Trump sont tellement choquants et outranciers qu’afficher la vérité suffit amplement à le contredire, explique un autre journaliste correspondant à New-York sous couvert d’anonymat. Mais de son point de vue, ceux qui doutaient déjà des médias –et ils sont hélas nombreux- ne changeront pas d’opinion sur le journalisme ». Dans ce cadre, le New York Times et le Washington Post redoublent aujourd’hui d’efforts pour faire du fact-checking, faisant fi des supporters de Trump… et gagnant au passage de nombreux lecteurs et abonnés. Néanmoins, les débats en interne, au sein même des rédactions, sont intenses : Gerry Baker, du Wall Street Journal, a ainsi demandé à ses équipes d’être neutres, voire de ne pas qualifier de mensonges certains faits erronés énoncés par Trump… avant de se faire tancer par les journalistes. Du côté du New York Times, un vrai examen de conscience collectif est en cours depuis que Liz Spayd la médiatrice du grand quotidien, a demandé aux journalistes de citer plus régulièrement le nom des sources pour asseoir les propos rapportrés et convaincre les lecteurs de la fiabilité de l’information.

A ce qu’il considère comme des attaques personnelles (qui ne sont en fait que l’exposition de faits avérés contredisant ses déclarations), le président Trump a d’ores et déjà répliqué en donnant la parole, en priorité, à des journaux de seconde zone lors de ses conférences de presse à la Maison Blanche ou même en refusant d’inviter certains médias (CNN, en l’occurence) à ses briefings. On a assisté à des scènes cocasses où le journaliste montre patte blanche en complimentant le président avant de lui adresser une question, En un mois et demi, une véritable guerre s’est engagée sur fond d’insultes dont l’expression « Fake news » est le parangon et LE leitmotiv du président sur Twitter. Cette escalade est-elle durable ? « On ne peut rien prédire mais les choses ne vont pas aller en s’arrangeant, de mon point de vue, explique un journaliste américain en off. Quand on entend Steve Bannon, premier conseiller de Trump, antisémite notoire, architecte de l’Alt Right et ancien patron du journal d’extrême droite Breitbart News, annoncer que « les médias doivent se taire» ou que « l’obscurité est bonne », on est en droit de s’attendre au pire ». D’ailleurs, lorsque l’on examine de près le discours du nouveau président, il emprunte ouvertement le lexique de l’extrême droite. La seule expression « America First » est une reprise du discours de Charles Lindberg, leader d’un mouvement d’extrême droite des années 30. « Néanmoins, plusieurs éléments jouent en la défaveur de Trump et sont autant d’angles d’attaques potentiels pour la presse, tempère Julian Sancton. Par exemple, il ne vérifie pas la légalité de ses ordres, ne consulte pas les spécialistes : ce désir de la jouer solo peut entraîner sa chute ». De plus, la presse peut l’attaquer sur son absence de transparence : il n’a toujours pas publié sa déclaration d’impôts et la liste de ses investissements à l’étranger, une première depuis Nixon ! Enfin, Trump a, depuis longtemps, un rapport ambivalent aux médias: il lit la presse et regarde les chaînes d’information en continu tous les jours. Il est obsédé par son image publique, au point de recouvrir les murs de son bureau à la Trump Tower d’articles le concernant. Cette obsession peut constituer un véritable levier d’action pour la presse.

A ce jour, les journalistes américains n’ont pas organisé de mouvement commun afin de contrer cette politique qui met à mal la liberté d’informer le public. C’est encore trop tôt… Cependant, certains réseaux journalistiques, comme Pro Publica, couvrent de façon indépendante cette présidence et collaborent à de nombreux reportages. Les médias vont avoir un rôle crucial à jouer dans les prochains mois en tant que contre-pouvoir… mais nul ne peut se vanter de connaître l’issue de cette confrontation !

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Rencontre avec Olivier Millet, président de l’AFIC, défenseur d’une autre image des fonds français

Depuis 30 ans, Olivier Millet évolue dans le monde du Capital Investissement, terme largement usité aujourd’hui et qu’il a lui-même inventé en 1989 pour traduire l’expression « Private Equity ». Aujourd’hui à la tête de l’AFIC, association professionnelle qui regroupe les quelques 300 sociétés de capital-investissement actives en France, il défend une autre idée des fonds, ce qu’il appelle « la quatrième voie capitaliste ». Portrait.

 De passage à Paris, j’ai rencontré Olivier Millet, président du directoire d’Eurazeo PME et président de l’AFIC. Avec un parcours professionnel remarqué, Olivier a contribué à fonder des grands noms du Private Equity, Barclays PE France (devenu Equistone) et OFI PE (devenu Eurazeo PME) pour n’en citer que deux.

En cette fin d’année, Olivier est visiblement enthousiaste pour le secteur du Private Equity et également confiant pour la suite : « 2016 sera une belle année pour les fonds français qui attirent de nombreux investisseurs étrangers (la moitié des fonds levés au premier semestre 2016). En 2015, nous avons récolté près de 10 milliards d’euros au total et nous poursuivons cette trajectoire ascendante. » Les fonds français affirment en effet leur attractivité et retrouvent progressivement les niveaux de la période 2005-2008 (étude Grant Thornton). Côté investissement, leur activité est également très soutenue : au premier semestre 2016, les membres de l’AFIC ont collectivement investi 5,5 md€ (+47% vs S1 2015).

 

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La France se hisse à la première place du capital investissement européen par le nombre d’entreprises accompagnées. « Notre pays a un véritable atout : elle recèle un grand nombre de sociétés non cotées de petite taille, deux fois plus que le Royaume Uni, explique Olivier. Les fonds sont là pour transformer toutes ces PME en ETI ». Désormais, il faudra parler de « Capital Transformation ». Sur les 6 premiers mois de 2016, plus de 1000 entreprises (+23%) ont ouvert leur capital aux fonds. L’objectif de l’AFIC est clair : booster cette tendance positive non sans poser les bases d’un capital investissement, à la française.

Loin de se satisfaire de ces bons chiffres, Olivier Millet en questionne le sens et se demande quel est l’ADN de ce Capital investissement français émergent: « Une véritable révolution capitaliste est en marche, explique-t-il dans les colonnes du Figaro. Le capital-investissement émerge comme le quatrième pilier du capitalisme, plus collectif et adapté à l’air du temps, aux côtés des formes plus traditionnelles de l’actionnariat, familial, boursier et d’État. Il est désormais structuré et très segmenté.» Olivier Millet défend ainsi avec force un « capitalisme collectif et de rotation » où les fonds sont des investisseurs responsables et de longue durée, accompagnant les sociétés sur des périodes de 5 à 10 ans pour les faire grandir. « Peu de gens en ont conscience mais, en France, 10% des emplois sont liés au capital investissement, souligne-t-il. Les fonds sont des acteurs de l’économie réelle et participent du développement du tissu économique français. » Il faut noter que ce fervent défenseur de l’investissement responsable est heureux de constater que le capital-investissement français s’est collectivement emparé de l’ESG, devenu un thème d’action au quotidien. L’AFIC publie d’ailleurs depuis 3 ans un rapport annuel sur le footprint positif et l’effet d’entrainement du secteur dans ce domaine.

Cette sensibilité à la réalité du terrain a conduit également l’AFIC à publier chaque année un rapport indépendant avec EY sur l’impact économique et social du Private Equity. L’étude 2015, rendue publique ce 13 décembre, est éloquente : au total, 256 000 emplois ont été crées en France par le Capital investissement et ce en 5 ans seulement. « La dynamique de croissance des entreprises accompagnées par le capital-investissement français se poursuit et se traduit par de nouvelles créations d’emplois, nettes des suppressions, note Olivier Millet. Avec l’objectif que s’est fixé le capital-investissement français de doubler à 5 ans les capitaux disponibles pour les entreprises ayant des projets de transformation, le secteur est un réel levier pour accompagner la reprise de la croissance économique et de l’emploi. »

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Un succès également en termes de croissance : fin 2015, les entreprises françaises accompagnées par le capital-investissement français affichent un chiffre d’affaires cumulé de 225 milliards d’euros, soit l’équivalent de près d’un cinquième du chiffre d’affaires cumulé du CAC40 à la même date. La croissance de leur chiffre d’affaires est près de 3 fois supérieure au PIB nominal français entre 2010 et 2015 (+33,2% vs + 12,5%), et près de 2 fois supérieure en 2015 (+3,7% vs + 1,9%).

Et Olivier Millet de conclure notre rendez-vous avec un message à diffuser en France mais aussi au-delà de l’Atlantique : « Le private equity est en train de contribuer à construire les bases de l’économie de demain. Via cette quatrième voie capitaliste, il est possible d’envisager un avenir où les intérêts de la société convergent, qu’il s’agisse des entreprises, des citoyens et de l’Etat. » Pour soutenir cette tendance, il voit toutefois « deux adaptations nécessaires en France : une meilleure fluidité de l’épargne vers le non coté, et une évolution des mécanismes qui figent le capital des PME ».

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Les fonds français aux US (3/3): portrait de Partech, pionnier parmi les fonds français dans la Valley

De New-York à San Francisco, quand on parle des fonds français présents aux US, un nom revient systématiquement, celui de Partech. Rien d’étonnant : cet investisseur pionnier a ouvert son premier bureau à San Francisco en 1982, alors qu’il était encore une filiale de Paribas. Depuis, il a pris son indépendance et s’est déployé à Paris et Berlin et enregistré un bon nombre de success stories qui ont fait la Une des médias, de Business Objects à PriceMatch (acquis par Booking.com) en passant par Pulse.io (acquisition de Google). Le fonds revendique 21 introductions en bourse et plus de 50 cessions stratégiques supérieures à 100 millions de dollars auprès de grandes entreprises internationales.  Leur dernière actualité en date : la levée de 100 millions d’euros pour leur nouveau véhicule d’amorçage. Nous avons donc rencontré Reza Malekzadeh, Général Partner de Partech basé dans la Valley, i.e. le Français le mieux placé aux US pour nous parler de Private Equity des deux côtés de l’Atlantique.
 

Reza, tu possèdes une très solide connaissance du milieu des VC américains et français : quelles sont les principales différences en termes de travail ?
Les différences sont notables à toutes les étapes de l’investissement. Tout d’abord, en France, les entreprises passent souvent par des apporteurs d’affaires, ce qui n’existe absolument pas ici. Faire appel à un leveur de fonds dans la Valley serait même perçu comme un très mauvais signe envoyé aux fonds. Aux Etats-Unis, le networking est la clé pour trouver des deals : les investisseurs misent sur leur réseau personnel, développé au fil de leur carrière. C’est un métier très humain, où la notion de confiance est centrale.

La vitesse d’investissement est également bien plus rapide aux US qu’en Europe : comment l’explique-t-on ? Et qu’en est-il en termes d’accompagnement ?
C’est vrai, les fonds américains sont très réactifs avec une réelle volonté de préempter les deals. Les investisseurs de la Valley veulent aller directement sur le terrain alors que les Français accordent beaucoup d’importance à la due diligence et à l’analyse en amont. Ces derniers ont une approche plus prudente et donc attendent plus longtemps avant d’investir. Pour donner un exemple, le fonds Benchmark Capital (investisseur de la première heure dans Twitter, Uber Snapchat…)  a engagé 10 millions d’euros auprès de Docker, avant même que ce dernier n’ait sorti de produit ! On explique cette réactivité par une culture business et l’acceptation d’échouer, typiquement américaines. En termes d’accompagnement des entreprises,  les fonds américains ne sont pas plus « hands-on »  et on ne peut pas dire que les investisseurs soient plus présents auprès de leurs participations. Toutefois, la principale différence reste toujours la réactivité : ils sont là dès que l’on a besoin d’eux et très à l’écoute des besoins de leurs investissements.

Quel conseil donnerais-tu à un fonds français qui veut s’installer aux US ?
La clé est de comprendre la culture locale de la Valley et de savoir s’y adapter. Ici, les codes business sont extrêmement différents. Les investisseurs ont, par exemple, pignon sur rue : quand on cherche à joindre quelqu’un, qu’il soit de haut niveau ou non, on obtient une réponse rapide et directe de son interlocuteur. D’ailleurs, il ne faut pas s’étonner de l’aspect abrupt de certaines réponses : les gens ne veulent pas vous faire perdre de temps. Cela vaut pour bien d’autres codes également. Le tout est de les connaître et de savoir les employer.

Quelle est l’image des fonds français et plus particulièrement de Partech ici ?
Les relations entre les fonds US et les fonds français sont très bonnes. Pour preuve, il n’est pas rare de les voir co-investir dans des start-ups ici : je peux ainsi citer notre investissement dans Tribe dans lequel Sequoia est partie prenante. Partech est vu comme un fonds européen transatlantique qui a un accès privilégié à un dealflow européen. Plus globalement, je ne pense pas que la France ait un problème d’image mais elle devrait plus miser sur ses atouts. Je fais notamment référence à l’intelligence artificielle ou à nos data scientists, deux domaines dans lesquels nous sommes en avance et que nous devrions mieux valoriser ici. Sur ces questions, les efforts de BpiFrance et de la French Tech vont dans la bonne direction même s’il reste encore beaucoup de marge avant d’arriver au niveau des Israéliens et des Indiens qui savent très bien se vendre dans la Valley.

Quelles sont les perspectives dans la Silicon Valley pour les prochains mois ?
Depuis un an, on a observé une correction des valorisations. Le dealflow a été nettoyé, écartant les entreprises trop valorisées. Je crois que ce réajustement est un bon signe : les entreprises constituent à présent leurs dossiers avec beaucoup plus de soin. En ce qui concerne Partech, nous allons continuer notre développement ici mais également sur la côte est des Etats-Unis pour construire de nouvelles success stories !

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Découverte du club French Founders version New York

Créé il y a deux ans à peine, le très sélectif club French Founders se définit comme « le club business, next-generation des dirigeants et fondateurs francophones – partout dans le monde ». Dans les faits, il se démarque par la qualité de son contenu et de son audience lors de ses événements. L’une des dernières conférences en date : la rencontre d’une douzaine de start-ups françaises triées sur le volet et de fonds d’horizons divers, lors d’une soirée spéciale à New-York.

Loin de se positionner comme les traditionnels clubs pour expatriés qui veulent simplement se constituer un réseau ou comme une association de promotion des start-ups aux US, French Founders rassemble, anime et fédère activement une communauté française issue de secteurs divers et d’entreprises de toutes tailles. Actuellement, ce club de cadres et dirigeants regroupe plus de 1700 membres sur 3 continents (Amérique, Europe et Asie) avec, comme objectif affiché d’apporter à chacun des membres une attention et un traitement personnalisé pour favoriser le développement des business français dans le monde.

Parmi les 200 événements organisés chaque année par French Founders, la soirée Start-up to VC participe pleinement de ce principe d’efficacité et de service sur-mesure. Deux fois par an, un jury -composé de fonds et de business angels accompagnés par French Founders sélectionnent ainsi une poignée de start-ups fondées par des entrepreneurs français exclusivement. Ces derniers peuvent, à cette occasion, rencontrer des investisseurs potentiels pour présenter leur projet, leurs business model et leurs ambitions. C’est l’occasion d’échanges et de prises de contacts dans la perspective, à plus long terme, de levées de fonds.

Le 15 novembre dernier, 14 jeunes entreprises françaises ont eu la chance non négligeable de discuter longtemps avec des investisseurs locaux – ce qui, comme vous le savez, n’est pas chose aisée car les fonds à New-York, sont très sollicités et les jeunes entreprises nombreuses. Quatre start-ups tirées de cette sélection étaient invitées à se présenter en public, devant l’assemblée des invités composée principalement de membres de l’écosystème new-yorkais, soit 20 investisseurs US et 10 fonds français des start-uppers en devenir ainsi qu’Anne-Claire Legendre, Consule Générale de France. Une visibilité inédite pour certains start-uppers ! Les quatre jeunes pousses mises en lumière ce jour-là devant l’audience provenaient d’horizons très divers, tant en termes de secteurs que de provenances géographiques (Boston, San Francisco, NYC, Shanghai…). Les fondateur de Cobalt (créateur d’avions privés du futur), Try the World (les fameuses box de produits gourmets), Allure Systems (concepteur de mannequins en VR pour les marques de vêtements) et  Biomodex (créateur d’organes 3D pour l’entraînement des chirurgiens) ont pu transmettre leurs visions et ambitions. La deuxième partie de la soirée était, elle, consacrée à des rencontres en tête-à tête et en privé entre les entreprises sélectionnées et le pool d’investisseurs.

J’étais aux premières loges, puisque French Founders m’avait proposé d’être Maître de Cérémonie pour cet événement, diffusé en direct sur Facebook. Je peux donc témoigner aujourd’hui de l’efficacité du club : start-uppers désireux de communiquer des deux côtés de l’Atlantique m’ont demandé de leur présenter mon activité de RP pour les fonds et les start-ups aux US.

Pour terminer, voici quelques pistes d’associations et d’institutions qui peuvent vous ouvrir de nouveaux réseaux lors de votre implantation aux Etats-Unis :

  • French Founders est un club qui sélectionne ses membres et leur propose un accueil sur-mesure en les mettant en relation et en attirant leur attention sur les événements pertinents pour eux. Les membres du réseau sont actifs et de haut niveau.
  • La French-American chamber of commerce propose des espaces de co-working, des forums thématiques et sectoriels et des soirées festives pour animer son réseau.
  • Le programme Impact USA  de Bpifrance permet à 18 start-ups sélectionnées de partir pour les US (San Francisco et NYC) avec, comme objectif, de « réaliser en 10 semaines ce qui leur aurait pris un an ». Les jeunes entrepreneurs sont coachés et accompagnés de très près par des experts dans tous les domaines.
  • Business France est souvent la première porte à laquelle frappent les start-uppers. C’est un bon moyen d’approcher le marché américain et d’en connaître les contours globaux avec une approche très institutionnelle.
  • Le Consulat de France à New-York a également lancé des soirées de pitch pour start-uppers français, sous l’impulsion de la nouvelle Consule Générale de France, Anne-Claire Legendre qui compte mettre l’innovation française au coeur de sa communication.
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Le côté obscur d’une start-up: critique littéraire de Disrupted et ITW de l’auteur

Tirer à boulets rouges sur le monde des start-ups semble être un leitmotiv chez plusieurs auteurs américains en 2016. Après avoir glorifié le monde des jeunes pousses de la tech et de l’innovation, certains revoient aujourd’hui leur jugement, surtout quand leur expérience personnelle diffère l’image d’Epinal que la Valley s’efforce de nous vendre. C’est le cas du best-seller autobiographique de Dan Lyons, Disrupted

Sorti au printemps dernier et savoureusement sous-titré « ma mésaventure dans le bulle des start-ups », l’ouvrage retrace le parcours (réel) de son auteur. Quinquagénaire féru de nouvelles technologies, journaliste de longue date chez Newsweek et Forbes, Dan doit affronter un chômage inattendu et se reconvertir au plus vite pour faire vivre sa famille.

Rapidement embauché, en 2013, par deux trentenaires caricaturaux chez Hubspot, un créateur de logiciels marketing, le narrateur plonge du jour au lendemain dans l’univers cruel de cette start-up située à Boston. Dans un récit cocasse qui confine à l’absurde (on retrouve des dialogues dignes de Beckett), voire à la démence (Kafka n’est pas loin), on se rend compte que le goût pour l’innovation a pris le pas sur la voix de la raison au sein de cette jeune entreprise qui a levé 100 millions de dollars auprès de VC.

Avec une culture d’entreprise qui se veut innovante et qui pousse le jeunisme à l’extrême, la start-up Hubspot fait de ses employés de véritables adeptes qui mangent, vivent, dorment Hubspot et doivent vouer un véritable culte aux deux patrons fondateurs. Des chiens se baladent librement dans les couloirs et les collaborateurs, qui travaillent assis sur des ballons, tous vêtus en orange, la couleur officielle de la société, se pâment devant « le mur des bonbons » de l’open-space.

Cette satyre pointe les dérives du tout « marketing » et de ces CEO qui se prennent pour des gourous : de l’ours en peluche qui préside toutes les réunions en tant que représentant du consommateur au mantra « 1+1=3 », qui guide toutes les décisions marketing, l’entreprise semble marcher sur la tête. Ce récit savoureux fait aussi la part belle aux sociolectes de l’entreprenariat : si on est assez « disruptif », on peut par exemple « créer le buzz » (go viral) et « faire sauter l’internet » (blow up the Internet). L’auteur nous fait vivre de près sa descente progressive aux enfers, de sa mise au placard à l’écriture de ce livre cathartique.

– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – INTERVIEW DE DAN LYONS – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –

Alors qu’en est-il réellement ? Est-ce là une critique globale de la Silicon Valley et de ses jeunes pousses ? Dan Lyons, l’auteur, étant par définition un homme connecté, désormais scénariste pour la série Silicon Valley de HBO, nous avons pris contact avec lui via Twitter. Car oui, aux Etats-Unis, les auteurs sont sur Twitter et ils y sont même très actifs. Dan a donc répondu à ces interrogations !

Anna Casal : Avec le recul, pensez-vous que votre expérience chez Hubspot ait été positive ?

Dan Lyons : Cette expérience était profondément désastreuse. J’étais si mal et si triste à l’époque où j’étais employé là-bas… De toute ma vie d’adulte, je n’ai jamais été aussi désespéré que lors de mon passage chez Hubspot. Ceci dit, j’y ai appris ce qui m’a permis d’écrire Disrupted !

A.C : Pensez-vous que toutes les start-ups ressemblent à Hubspot en termes de management ou de culture d’entreprise ?

D.L : Non, toutes les start-ups ne sont pas aussi dingues que l’est Hubspot. En réalité, les deux fondateurs de cette société essayaient de diriger une entreprise expérimentale. Ils ne voulaient pas seulement produire et développer un logiciel mais également réinventer la façon dont on dirige une entreprise. Hubspot était une sorte de laboratoire expérimental où ils pouvaient tester des théories de management sur des vrais êtres humains.

A.C : Est-ce que des fonds de capital risque (VC) ou des start-ups ont réagi à votre livre et comment ? 

D.L : 100% des emails que je reçois de mes lecteurs, VC et start-ups compris, sont positifs ! C’est assez étonnant, en fait. Même sept mois après la sortie du livre, je reçois encore des lettres de lecteurs qui me remercient car ils ont vécu eux-mêmes ce genre d’expériences traumatisantes !

Pour suivre Dan Lyons : abonnez-vous à son fil @realdanlyons et ou visitez son site (http://www.realdanlyons.com)

 – – – – – – – – – – – – – – LES PHRASES CULTES  – « Disrupted » de Dan Lyons – – – – – – – – – – – – – –

« J’aime beaucoup cette idée mais elle n’est pas assez 1+1=3 »
« Je suis la manager d’une équipe d’une personne. Et par une, elle entendait elle-même. Elle dirigeait donc le département des « relations influenceurs » (..). Un jour, pour Halloween, elle donna un discours lors d’une conférence, déguisée en sorcière, avec des chaussures brillantes, un balai à la main et un grand chapeau noir. Elle posta des photos d’elle-même ce jour-là sur Twitter »

« Le texte de la petite annonce pour un(e) responsable RP était édifiant : Vous pensez pouvoir nous faire faire la couverture de Time Magazine ? (…) La personne qui aurait pu postuler pour ce job (de RP) était, par définition, quelqu’un qui avait très peu d’expérience. Tout comme la personne qui avait écrit cette petite annonce »
« Vous êtes la première génération à accepter de travailler pour des bonbons gratuits. Ma génération n’aurait jamais cédé. Nous voulions être rémunérés en argent véritable.  Vous comprenez ? Non, ils ne comprenaient pas. »
« Je suis arrivé chez Hubspot avec des idées grandioses sur le journalisme d’entreprise. Au lieu de ça, à 52 ans, j’écris des articles idiots à longueur de journée, un cran en dessous des descriptifs de catalogues de vêtements »

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L’élection de Donald Trump signe-t-elle l’échec des médias aux Etats-Unis ?

 

« Against all odds » est l’expression américaine la plus adaptée pour décrire les résultats de l’élection américaine. Pendant près d’un an, l’opinion publique, au sens littéral du terme et par opposition avec les opinions privées, et les médias ont dénoncé, ridiculisé, moqué et, surtout, sous-estimé Donald Trump. Si l’on reprend les sondages publiés il y a un an, les chances de gagner de Trump avoisinaient les 5%. Comment expliquer le phénomène ? Pire, le New-York Times donnait à Hillary 84% de chances de gagner l’élection à quelques heures du scrutin. Aujourd’hui tout le monde s’interroge sur cette vague « trumpiste » que les observateurs les plus aguerris n’ont pas vu venir.

Entre effarement et déception, c’est un véritable mea culpa que la presse américaine a présenté au lendemain de l’élection présidentielle. Secoués, les journaux questionnent leur rôle et leur pouvoir : pour la sphère des médias, que souligne l’issue de cette élection ? Signe-t-elle l’affaiblissement du journalisme, sa transformation radicale ou la montée en puissance des réseaux sociaux ? Pour soutenir la première hypothèse, il faut se souvenir que tous les grands médias –locaux, nationaux, sectoriels, à deux exceptions près qui se sont engagés, tout au long de la campagne, l’ont fait de côté d’Hillary Clinton. Fait notable : pour certains, comme USA Today, cette prise de parti était une nouveauté. Au delà de cette prise de parti, des opérations médiatiques coup de poing ont ponctué la campagne pour affaiblir Donald Trump. Le New York Times n’a pas hésité à tirer à boulets rouges sur le candidat Républicain en publiant l’ensemble des insultes proférées par Trump dans une grande double page et ce, à quelques jours du scrutin. Instituant la loi du talion, le candidat Trump, lui-même, a jeté le discrédit sur la sphère médiatique pendant plus d’un an… suivre le fil de Laurence Haïm, correspondante de Canal Plus et d’i-télé, sur Twitter était instructif à cet égard. Cette fine connaisseuse de la politique US, accréditée à la Maison Blanche et qui a suivi la campagne de Trump jusqu’au bout, n’a eu de cesse d’alerter sur le sort que le candidat (et ses supporters) réservaient à la presse. Insultes, mise à l’écart volontaire, moqueries publiques, refus de faire des conférences de presse : tel a été le lot des journalistes « embedded » côté républicain.

Doucement mais sûrement, un fossé s’est creusé entre la politique et ce qui a longtemps été considéré comme le quatrième pouvoir. Dans ce bras de fer épuisant, il faut admettre que Donald Trump semble avoir gagné : les médias n’ont pas su informer. Etats des lieux aujourd’hui, 10 novembre : la presse n’est pas invitée à la première rencontre entre les vice-présidents (sortant et élu). Un événement inédit.

Il est intéressant de voir que les médias échouent là où les réseaux sociaux et la presse d’opinion trouvent leur place progressivement. Ces nouveaux modes de communication ont-ils volé aux médias traditionnels leur influence ? A noter qu’en anglais, on ne dit pas « réseaux sociaux » mais « médias sociaux », une nuance subtile qui revêt aujourd’hui une importance de taille. L’actualité prend la forme de faits bruts, vérifiés ou non (les tentatives de fact-checking ont échoué pendant la campagne), qui s’alignent sur nos Timelines. Le lecteur-internaute-électeur ne recherche plus l’information car elle lui est servie sur un plateau. En prime, c’est ce « consommateur d’information » qui s’abonne, suit et détermine quel réseau va lui fournir ces bribes et éléments qui vont alimenter une réflexion personnelle. Une personnalisation accentuée par les filtres des réseaux sociaux qui suggèrent tel ou tel contact (influenceur, média…). Ainsi, le laboratoire de recherche en journalisme, Nieman Journalism Lab, s’insurge-t-il aujourd’hui ,dans un article, contre ce mélange des genres qui consiste, pour les réseaux sociaux, à mettre au même niveau des publications sérieuses et des médias de seconde zone. Dans la course aux clics, une presse d’opinion qui ne dit pas son nom est en train de voir le jour, le groupe Breitbart News, soutien de Trump, en tête.

Alors quelles sont les leçons à tirer de cette élection en termes de communication ? Du point de vue des médias, on assiste aujourd’hui à l’effritement progressif d’un modèle qui doit retrouver son espace sur la scène de l’information. Hier, dans un article, le NYT plaidait ouvertement coupable d’avoir trop fait confiance aux sondages. « Toute l’incroyable technologie, le big data et les modèles de prédictions complexes que les newsrooms américaines ont utilisé pour couvrir la présidentielle n’ont pas pu sauver le journalisme américain : il est passé à côté de son sujet, à côté de la réalité du pays », peut-on lire dans un edito daté du 9 novembre. De nombreux journaux remettent en question les modèles et méthodes suivis par les instituts de sondages mais également leur fonctionnement économique, fondé sur l’achat des enquêtes par les médias eux-mêmes. Plus largement, en termes de communication pure et dure, cette campagne a également été très instructive. Comme le fait la Havard Business review, on peut faire une liste les recettes de communication du candidat gagnant et les appliquer à une start-up qui voudrait se faire connaître. Ce parallèle est intéressant et est peut-être une des clés : Trump est avant tout une marque et un insider de la communication qui a senti avant d’autres le vent des médias tourner…