Happy to share le nouveau numéro des Confettis avec mon interview – si bien illustrée par Flora Gressard- de la fabuleuse Aurélie JEAN, PhD !! Si ce n’est pas fait, abonnez-vous au magazine, c’est juste ici: https://lnkd.in/dm93Pwr
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Rencontre avec… Maurin Picard, journaliste correspondant aux Etats-Unis pour Le Figaro.
Journaliste depuis 19 ans, Maurin Picard s’est installé en 2011 à New-York pour y couvrir l’actualité politique et économique du pays. Il est, aujourd’hui, correspondant du Figaro mais également du Soir (Belgique) et du quotidien régional Sud-Ouest. Passionné d’Histoire, il nous livre sa vision du journalisme. Retour sur un parcours aux quatre coins du monde, et réflexion sur le journalisme aux Etats-Unis.
Qu’est-ce qui vous a conduit au journalisme et quel est votre rapport à l’information ?
Jeune, je rêvais de diplomatie et de « terrain ». Envoyé par le ministère des Affaires étrangères et l’OSCE au Kosovo, en 1998, je me suis retrouvé, non à organiser la tenue d’élections libres comme cela était prévu, mais à recenser les exactions d’une sale guerre entre le pouvoir serbe et la guérilla kosovare. « Casque bleu » civil impuissant, j’ai vu, pour la première fois, le pouvoir des reporters qui se trouvaient là, à enquêter, écrire et diffuser le récit de ce qui se tramait dans ce coin des Balkans. Sans ornières, et sans la censure.
Ce fut une révélation, tardive. J’ai renoncé à mes rêves de poursuivre une carrière diplomatique pour laquelle de toute façon je n’étais pas fait, et me suis lancé à corps perdu dans le journalisme, pour apprendre le métier sur le tas, sans passer par une école spécialisée comme 80% de la profession, d’ailleurs !
De cette vision romantique initiale, vieille de vingt ans, je conserve une conviction forte : écrire les articles que je voudrais lire, être en mesure de « raconter une histoire », lorsque des grands formats sont possibles, et « aimanter » le lecteur. C’est l’héritage d’Albert Londres. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire !
En 1999, je suis donc rentré en France, j’ai décroché des stages notamment à Libération et au Figaro. En septembre 2001, je devais démarrer un nouveau stage, mais l’histoire en a voulu autrement. Alors que tous les correspondants avaient les yeux braqués sur l’Afghanistan et la Somalie, j’ai sauté sur l’occasion du 11-Septembre pour proposer des reportages dans des lieux ou les journalistes n’étaient pas présents : en Iran et en Irak, notamment.
En 2003, après l’invasion de l’Irak, je m’installe à Vienne (Autriche) comme correspondant en Europe Centrale. De là, j’ai pu couvrir l’élargissement à l’est de l’Union européenne (2004) puis l’extension de l’espace Schengen (2007), pour la presse écrite et la télévision (France 24 prenait tout juste l’antenne). Ce fut une période très exaltante pour le journalisme, un moment historique.
En 2011, par choix familial, je me retrouve à NYC, la ville au monde qui bénéficie probablement de la plus forte concentration de journalistes francophones. J’y suis correspondant essentiellement pour deux quotidiens de presse écrite, Le Figaro et Le Soir.
Est-ce que le métier de journaliste est le même à New York qu’en Europe ?
Les Américains sont des gens plus ouverts, connectés et portés sur les réseaux sociaux. Il est plus facile, en règle générale, de décrocher une interview avec des personnaliés du monde politico-économique. On peut rencontrer un acteur, un élu, un universitaire renommé avec une grande facilité via les réseaux sociaux. Le Figaro est également une très bonne carte de visite : c’est un des titres français les plus connus au monde.
On pourrait croire que la communication, outre-Atlantique, est très calculée, très verrouillée…
Ce n’est pas mon expérience. On ne me demande presque jamais de relire mes papiers ou interviews avant publication. Pour un journaliste, c’est un réel plaisir de travailler ici. Les Américains aiment s’exprimer, n’ont pas de frilosité à prendre la parole en public et sont faciles d’accès. Il y a quelques mois, j’ai ainsi croisé le maire de Memphis dans la rue à l’occasion des 50 ans de la mort de Martin Luther King. Elu démocrate de premier plan dans le « sud profond », il n’a pas hésité une seconde à répondre au débotté à mes questions. Certes, la peur de la citation erronée est parfois présente, mais le respect instinctif de la presse reste profondément ancré dans la société. Les journalistes sont globalement très respectés. Du moins jusqu’à une certaine élection en 2016 …
A votre avis, quelles sont les grandes différences entre la pratique du journalisme américain et français, en termes de méthodes de travail et d’écriture ?
Le journalisme anglo-saxon obéit à des codes rigoureux. Pas de fioritures dans « l’accroche» : qui, quoi, où, quand, comment. En parcourant un article, le lecteur doit savoir, dès le premier paragraphe, de quoi il en retourne. Les faits, rien que les faits ! C’est la patte du New York Times et du Washington Post, à laquelle ont été formées des générations de journalistes américains. Ces grands journaux, en outre, ont une charte éthique. Ils s’efforcent d’interdire, autant que faire se peut, les sources anonymes, pour éviter les inventions, les fabrications de toutes pièces. Et quand ces sources anonymes ne peuvent être dévoilées – on le voit avec les fuites au sein de la Maison Blanche sous l’ère Trump – autant en produire plusieurs afin de « s’autoriser» à publier une information.
Le journalisme français, lui, n’a pas cette rigueur, traditionnellement. Il peut être plus pamphlétaire, à l’instar d’Emile Zola et son « J’accuse ! » ou plus « romancé », comme Lucien Bodard durant la guerre d’Indochine. Il aime mélanger les genres, au confluent des faits et de la littérature. Cela donne un journalisme plus engagé, plus coloré, comme ce qu’a fait Bodard, mais aussi moins rigoureux, parfois.
De mon point de vue, cela découle aussi d’un grand malentendu originel : les journalistes français entretiennent un rapport difficile avec le pouvoir, sûrement lié à notre passé monarchique. Napoléon III a libéralisé la presse, mais gare à ceux qui le critiquaient ! De nos jours, on ose difficilement aller contre le courant, ainsi qu’en témoigne le grand secret concernant la maîtresse du président François Mitterrand, Anne Pingeot, et leur fille « cachée » Mazarine. Toutes les rédactions savaient, depuis longtemps. Tout comme ces informations en amont concernant le financement de la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy par Mouammar Kadhafi.
Cependant, ces lignes se sont estompées avec le temps : le journalisme américain, qui reste une profession immensément talentueuse, a « manqué» le défi posé par le 11-Septembre, puis par l’invasion de l’Irak sous des motifs discutables. Le journalisme français, lui, s’est découvert de nouveaux formats, comme la revue XXI ou La Revue Dessinée. Ce journalisme retrouve, à mon avis, un peu de la couleur et des ambitions littéraires du temps de Bodard, tout en accomplissant un travail de décryptage et d’investigation indispensables.
L’élection de Donald Trump à la tête du pays a-t-elle changé la donne ?
Depuis l’arrivée de Donald Trump dans la course à l’élection présidentielle (juin 2015), la presse américaine est la cible d’attaques ouvertes et répétées de la part des hommes politiques. Pendant la dernière campagne, le New York Times allait jusqu’à dire que nous étions à la veille d’un drame avec l’émergence d’une violence –parfois physique- envers les journalistes dans des rassemblements politiques. Quelqu’un allait être tué, écrivait le Times, et il ne faudrait pas s’en étonner, vu l’ambiance délétère.
Heureusement, un tel dérapage n’a pas eu lieu et l’effet escompté fut inverse à celui d’une marginalisation de la presse : le métier s’est finalement trouvé revigoré par la menace populiste qu’incarne Donald Trump. Pendant la campagne et après, le journalisme d’investigation a ainsi été boosté, conforté dans sa mission d’information objective du public, surtout dans la presse écrite. Depuis quelques mois, l’abonnement aux journaux reprend de belles couleurs. C’est même devenu un acte civique que de soutenir la presse. Les Américains votent peu, certes, pour toutes sortes de raisons historiques, mais ils défendent corps et âme leur démocratie. Et le journalisme indépendant, ce fameux « quatrième pouvoir », fait partie de ces valeurs.
Paradoxalement, en parallèle de ce rebond salutaire, les enquêtes d’opinion récentes montrent que la confiance envers les médias n’a jamais été aussi basse. Il y a aujourd’hui deux Amériques : quand certains soutiennent la presse, d’autres montrent du doigt le « mainstream media », mettent en doute l’information objective, ce qui me paraît dramatique car cela participe des dissensions dans la société américaine.
Ces dissensions s’exposent désormais franchement à la télévision. Les trois « majors » historiques – CNN, MSNBC et Fox News – proposent un traitement de l’information très distinctif, avec une approche pamphlétaire indéniable et un dangereux mélange des genres. A titre d’exemple, le présentateur de Fox, Sean Hannity a reconnu avoir le même avocat que Donald Trump, au cœur de l’affaire Stormy Daniels. Cette polarisation des médias, avec Fox News d’un côté et les deux autres chaînes de l’autre, est inédite et n’a rien de rassurant. Chaque individu choisit de ne regarder que ce qui lui convient politiquement, et d’aborder les évènements quotidiens selon sa grille de lecture favorite, servie par Fox ou CNN.
Le cœur du métier reste pourtant lié à des valeurs d’objectivité et de rigueur. Certains ont dit que les journaux n’avaient pas anticipé la victoire de Trump. C’est vrai, mais je pense qu’ils ont néanmoins fait un très bon travail de fond pendant la campagne en faisant écho aux critiques de l’électorat envers Hillary Clinton et une politique du passé. Dans quelques années, la relecture de ces articles fera sens.
Parmi ces évolutions médiatiques, lesquelles, de votre point de vue, vont arriver en Europe ?
Les formats changent en France. La presse écrite a entamé sa mue digitale, ce qui libère les « longueurs » des articles – moins de contraintes en termes de format, désormais – et pose le problème de l’immédiateté. Savoir tout, tout de suite, mais combien de temps pour bon décryptage ? Une heure ? Une demi-journée ? Après un évènement international, quel délai « tolérer » avant de voir son éditorialiste préféré livrer le commentaire que tout le monde attend ?
Face à cela, et après la vogue des « fake news » venue des Etats-Unis, je pense au que l’Europe peut et doit montrer l’exemple, avec ces formats inédits que sont XXI, Eléphant, Le 1, La Revue Dessinée. On réinvente le reportage et on fait de la place aux témoignages également via des romans graphiques, de l’investigation. La presse française sait tirer son épingle du jeu, même si l’Amérique mène la danse en termes d’innovations technologiques. Ce sont ces évolutions qui forcent un jeune journaliste débutant aujourd’hui à maîtriser l’écrit, l’image, le son. Vous interviewez quelqu’un, avec une caméra, un enregistreur audio et votre calepin. La juxtaposition de tous ces types d’expression donne lieu à des éclairages complets, tout en répondant aux attentes d’un lectorat plus varié, toujours plus informé, et donc plus exigeant.
A moyen terme, quelles orientations doivent prendre les médias classiques qui veulent survivre (investigation, suivi de l’actu en temps réel, mise en avant des abonnements…) ?
Les expériences sont variées, et le modèle idéal n’existe pas. Mais les Cassandre qui annonçaient la mort de la presse écrite, en particulier, se sont trompés. Le papier proprement dit, bien sûr, semble condamné, de par l’évolution des modes de consommation : nous sommes de plus en plus des lecteurs nomades, avec notre smartphone ou notre tablette tactile, dans les transports en commun. La fidélisation du lectorat a longtemps souffert des formats gratuits mais, malgré une concurrence impitoyable, certains titres reviennent à la vie, timidement ou spectaculairement : le New York Times, le Washington Post, enregistrent des bénéfices sans précédent, depuis l’émergence du phénomène Trump. Ils sont redevenus ce « quatrième pouvoir », avec une puissance d’investigation inédite portée par des finances saines et un lectorat avide. Les gratuits existent encore, mais le lecteur cherche une profondeur, une pertinence, des « scoops » (terme suranné, remplacé par des « exclusivités »).
En France, le Figaro tient bon la barre, tout comme le groupe Le Monde grâce à ce phénomène d’édition qu’est le titre Courrier International, porté par les abonnements. C’est de bon augure pour l’avenir, même si être un journaliste de presse écrite ne sera jamais le plus sûr moyen de faire fortune !
Quels sont vos projets professionnels ?
Ecrire sans se regarder vieillir, car la retraite à 60 ou 65 ans, pour un journaliste, n’est plus qu’un lointain concept. Et puis se projeter vers cette région du globe qui est en train d’enterrer l’hégémonie occidentale : l’Asie, et la Chine, bien sûr. De l’investigation, des enquêtes…
Cet article a été publié dans le numero 3 de la revue Les Confettis.
Laetitia Gazel-Anthoine réussit le tour de force dont rêvent certaines: fonder et diriger une start-up en pleine expansion, être mère de quatre enfants et s’expatrier aux Etats-Unis. Avec son entreprise très tech, Connecthings, elle contribue à l’émergence des Smart Cities de demain en mettant en relation réseaux urbains et les téléphones mobiles individuels pour améliorer notre quotidien. Nous l’avons rencontrée à New York, où elle habite désormais.
Laetitia, revenons sur votre parcours: qu’est ce qui vous a conduit à devenir l’entrepreneur que vous êtes aujourd’hui?
Jeune, j’étais bonne élève avec une prédilection pour les mathématiques. Dans ma famille, nous sommes nombreux -six enfants- et nous comptons beaucoup d’ingénieurs. Etre une femme ou un homme n’est pas un sujet problématique dans ma famille, il n’y avait aucune différenciation. J’ai donc fait une clase préparatoire et ai intégré Supelec. J’ai également le besoin de prendre mes propres décisions avec, en prime, une forte envie de créer. Après avoir travaillé pour Nortel Matra pendant quatre ans puis en tant que consultante pour Orange pendant huit ans, j’ai lancé en 2007 Connecthings, ma start-up, avec le désir de construire autour d’une idée originale qui me tenait à coeur.
Qu’est ce qui vous a donné l’idée de créer cette entreprise?
En 2007, à l’heure de Second Life, je me suis intéresssée aux liens entre le monde du numérique et le monde physique. Bien qu’il y a un vrai engouement pour l’e-commerce, la plupart des achats continuent de se faire dans la vie réelle. L’idée de faire le pont entre ces deux mondes me paraît cruciale. En parallèle, le modèle de JC Decaux m’a paru très inspirant: il offre un service aux villes en échange d’espaces de publicité. Connecthings est le fruit d’une longue réflexion autour de ces observations: nous fournissons aux villes des informations sur les mouvements des habitants via des balises installées dans des endroits ciblés (gares, arrêts de bus…) et aux habitants des informations sur ce qui les entoure et notamment la disponibilité temps réel des transports urbain. Elles peuvent ainsi améliorer leurs réseaux de transports et accroître leur attractivité auprès des habitants et visiteurs. En contrepartie, les villes nous laissent louer ces balises pour d’autres applications mobiles. C’est un véritable succès puisque nous avons équipé, en tout, 62 villes et nous comptons près de 40 employés à New York, Paris, Barcelone, Berlin, Milan et Rio de Janeiro.
Justement, il y a un an, vous avez fait le choix de quitter Paris pour New York avec votre famille: pourquoi avoir décidé de vous expatrier et comment votre famille a-t-elle vécu cette expérience?
Avec nos quatre enfants -qui ont entre 16 et 4 ans-, mon mari et moi avons fait le choix d’une nouvelle vie, différente de celle que nous connaissions à Paris. Mon conjoint a certes laissé un poste qu’il aimait en France mais c’est pour mieux amorcer cette nouvelle étape positive outre-Atlantique. Pour mon entreprise, c’est une phase très importante pour accélérer son développement et lever des fonds. Après un an aux Etats-Unis, le quotidien se passe très bien: je travaille beaucoup mais je consacre mes week-ends à ma famille. Mes enfants vivent bien cette situation: en tant qu’entrepreneur, je suis certes moins disponible que certains parents –surtout ici, où les parents d’élèves sont très impliqués dans les activités scolaires et extra-scolaires- mais je leur transmets une énergie positive, celle de l’aventure entrepreneuriale. Enfin, je pense que cette expatriation est une occasion unique pour eux de découvrir une autre culture, une autre façon de vivre et une autre langue. Ce n’est que du positif, au fond.
A votre avis, quelles sont les qualités dont il faut disposer quand on est une ou un entrepreneur?
Les qualités essentielles sont la détermination pour avancer, la vision qui donne le cap et l’écoute pour s’adapter. Avec ces qualités et de l’ambition, on doit réussir à faire une tres belle entreprise.
Quels sont les freins pour les femmes dans cet univers très masculin qu’est le milieu entrepreneurial de la tech?
Théoriquement, il n’existe aucun frein pour les femmes dans ce secteur. Pour autant, les chiffres prouvent que très peu de femmes évoluent dans la tech . Il faut leur donner envie d’aller vers des carrières tech qui offrent un énorme potentiel de créativité et ouvrent à de très nombreux métiers, de la recherche à la programmation et du Marketing et aux Ventes. Il faut aussi montrer des entrepreneurs femmes qui ont réussi de belles entreprises. Concernant l’équilibre vie personnelle et professionnelle, qui est souvent un sujet au moment de se lancer, la France a des atouts enormes notamment par rapport aux Etats Unis qui minimisent les risques : l’école et la santé sont gratuits, la vie y est moins chère. De mon point de vue, rien ne doit retenir une femme d’entreprendre et encore moins en France!
Quelles sont les femmes qui vous inspirent?
Sophie de Condorcet pour son esprit
Elisabeth Badinter pour ses prises de position
La veuve Cliquot, une grande entrepreneur
Si vous faisiez un bilan aujourd’hui, quelle serait votre plus grande fierté?
Tout d’abord, je suis très fière d’avoir monté une super équipe pour bâtir ensemble Connecthings ! Ma deuxième source de satisfaction est d’aider d’autres femmes entrepreneurs en France et aux US au travers de la Women Initiative Foundation, une fondation fondée par d’anciens élèves de Stanford et présidée par Martine Liautaud. Nous y développons actuellement un programme de mentoring transatlantique US – Europe pour accélérer le développement international d’entreprises fondées par des femmes. Ce programme est totalement gratuit. Les entrepreneurs américaines se développant sur le marché européen recoivent l’appui d’un mentor francais, à Paris et les entreprises francaises se développant aux Etats Unis recoivent l’appui d’un mentor américain à NY ou SF. C’est un très grand bonheur de participer et d’aider d’autres entrepreneurs.
Propos recueillis par Anna Casal
Edward Roussel est Chief Innovation Officer au sein du groupe de médias Dow Jones, un poste à forts enjeux dans une industrie toujours en pleine mutation face aux nouveaux usages. Entretien.
Anna : Qu’est ce qu’un Directeur de l’innovation dans le secteur des médias ?
Edward : Le rôle du Chief Innovation Officer au sein des médias varie d’un groupe à l’autre sa fonction est toujours de regarder vers le futur. Les médias se préoccupent en grande partie de faire vivre leur marque et leur héritage, que ce soit un héritage papier mais aussi digital -cela fait maintenant 25 ans que le web existe-. Le Chief Innovation Officer, lui, est constamment en train d’adapter le média aux innovations dans le web mais, surtout aujourd’hui, sur le mobile qui bénéficie de l’explosion des applis, sur systèmes Android et IOS. Un nouveau risque est, en effet, apparu pour notre secteur : celui de ne plus faire partie des nouvelles technologies ou d’être dépassé par ces dernières. Dans les médias, l’innovation est un thème transversal crucial : il nous appartient de structurer des solutions pour le futur, de déterminer quels sont les risques majeurs de disruption mais aussi les opportunités technologiques. Par exemple, chez Dow Jones, au moment du développement de la Réalité Virtuelle, nous avons examiné en détail cette innovation et essayé de déterminer si elle était un changement majeur de paradigme pour l’information. Enfin, nous avons travaillé pour l’intégrer en adéquation avec notre marque. Etre un bon CIO, ce n’est pas seulement faire de la veille : il faut également proposer et mettre en oeuvre des solutions très concrètes.
Quelles sont les dernières évolutions connues par les médias ces dernières années ?
A mon avis, il y a eu deux grands changements de paradigme. Tout d’abord, le passage du Print au Digital. Ce dernier représente aujourd’hui plus de 50 % des revenus du groupe Dow Jones. En parallèle, un nouveau business model lié au mobile apparaît, fondé sur les abonnements digitaux et, de moins en moins, sur la publicité. Ces deux évolutions, qui marchent main dans la main nous demandent d’avoir une approche très pragmatique. Pour donner un exemple concret : le Wall Street Journal, qui fait partie de notre groupe, souhaite toucher et fidéliser les jeunes lecteurs, ceux qui sont actuellement au Collège (i.e. premier cycle universitaire). Aux Etats-Unis, ils sont 20 millions dont 4 millions étudiant dans le domaine de l’économie et du business. On développe ainsi des apps qui leur parlent, adaptés à leur génération et à leurs usages. Au WSJ par exemple, je me charge de trouver des accords avec des grandes entreprises technologiques. Mon rôle est de connecter le cœur de notre activité des médias, qui consiste à délivrer de l’information, aux nouvelles technologies. Cette année, l’arrivée du Samsung 8 et l’Iphone 8 vont avoir un impact et je dois nous y préparer.
Vous qui connaissez bien les médias français, quelles différences voyez-vous avec les médias américains en termes d’innovation ?
De mon point de vue, les médias français se concentrent encore trop sur la partie digitale dédiée à la consultation par ordinateur. Or, nous sommes déjà passés dans l’ère d’après : celle du mobile. Les médias français prennent un réel risque de rester derrière en termes d’innovation. Ici, aux Etats-Unis, les médias tentent de répondre à la question centrale en 2017: comment construire une expérience personnalisée et unique sur écran mobile ? On essaye de se focaliser sur le « comment ». L’avantage, c’est qu’ici, on n’a pas peur d’essayer ni de se tromper ou même d’échouer : c’est un terrain vierge qui s’offre à nous et nous devons obligatoirement prendre des risques en innovant.
Un autre frein est la peur française de ne pas avoir de business model préalable. Or, de nos jours, en matière d innovation, c’est en avançant que l’on construit un business model. L’innovation nous entraîne en territoire inconnu, on ne peut prévoir la technologie qui va émerger demain. Et innover n’est pas toujours une grande prise de risque financière : on sait que le marketing pour les nouveaux produits éditoriaux ne coûte pas cher si l’on utilise les réseaux sociaux. Il y a un seulement un investissement de départ puis on procède par test en demandant à l‘utilisateur de se prononcer. Les dirigeants des grands groupes de médias ne demandent plus d’avoir un revenu dès le lancement d’un nouveau format ou d’¡une nouvelle app mais se focalisent sur le retour des utilisateurs pour adapter le produit et offrir une expérience intéressante. Par exemple, au Wall Street journal, nous nous associons avec Google pour innover dans la réalité augmentée. C’est un chantier tout neuf, nous ne savons pas où il nous conduira précisément mais nous tentons l’expérience!
Quels seraient vos conseils aux médias français ?
La France devrait, à mon avis, miser sur la force de ses grandes marques. Des groupes comme Libération, Le Figaro ou Le Monde portent des noms qui ont une résonance forte, historique : il suffirait de les rafraîchir, de les faire vivre et vibrer. Regardez tout ce que l’on observe sur le mobile : le niveau d’innovation est extrêmement élevé. Regardez, par exemple, Instagram : ce groupe a créé quelque chose de simple et néanmoins innovant en misant sur une pratique ancienne, la photographie. Les marques françaises doivent faire levier sur tous ces nouveaux usages permis par le mobile sans oublier leur histoire. Je suis convaincu que l’on peut être fidèle à une marque tout en la faisant évoluer.
Les plateformes, comme Facebook, sont aujourd’hui montrées du doigt car elles profitent des contenus des médias pour vendre des espaces de publicité. S’agit-il d’un problème réel pour vous ?
Je ne dirais pas que ces plateformes posent un problème central : elles sont à la fois un risque et une opportunité pour les médias traditionnels. Même si Facebook et Google ont un monopole sur les revenus publicitaires digitaux, ils conduisent aussi les utilisateurs et de nouvelles audiences sur nos sites. D’ailleurs, les plateformes, en diffusant des fake news, qui sont en soi un problème majeur, représentent une opportunité: les gens reviennent sur les sites d’infos pour avoir une garantie de qualité. Lors du premier trimestre 2017, nous avons gagne 300 000 abonnés digitaux en croissance nette au WSJ. Aujourd’hui, le WSJ se focalise sur les abonnements. Notre objectif principal est d’appréhender le mobile qui est une énorme opportunité pour nous de construire une expérience unique pour le lecteur.
Résidente aux Etats-Unis, il me paraissait impossible de ne pas aborder le sujet de la presse sous Trump. Ce thème est tellement vaste et nouveau qu’il est extrêmement compliqué de comprendre quelles sont les forces en jeu ici et leurs interactions. Réseaux sociaux, presse traditionnelle, relations publiques et liberté d’expression… l’intrication de tous ces sujets donne lieu à une situation ubuesque qui suscite autour du monde tantôt l’indignation, tantôt le rire ou l’effarement. Comment les journalistes peuvent-ils aujourd’hui composer avec un président qui n’a que faire de la vérité ou de la transparence ? Doivent-ils revoir leurs missions ? Gardent-ils espoir dans le débat démocratique ?
Mi-février, la grande campagne du New York Times pour la vérité, dont un spot est passé lors de la remise des Oscars, a fait la Une des réseaux sociaux outre-Atlantique. Qui aurait imaginé un jour ce grand quotidien devoir se battre de façon aussi frontale en faveur de la vérité mais en même temps contre le pouvoir politique en place ?
Depuis le début de la campagne pour la présidentielle, les rapports entre les candidats et les médias ont connu une véritable évolution, devenue une révolution en un an à peine. Aujourd’hui, un mois après l’investiture, les médias n’ont plus d’état d’âme à parler de « mensonges » concernant les déclarations fantaisistes de Donald Trump. Le même New York Times n’a pas hésité à utiliser ce terme dans un de ses grands titres, une première historique.
Pour de nombreux observateurs, Trump, en érigeant les médias en traîtres, a voulu créer une force d’opposition située hors du scope politique. « Pour lui, la presse poursuit une idéologie contre laquelle il faut s’insurger. Ce point de vue est assez inquiétant pour nous, journalistes, mais également pour la démocratie », explique Julian Sancton, journaliste à Departures Magazine et observateur de la vie politique américaine. L’Histoire nous apprend en effet que le pouvoir totalitaire commence toujours par manipuler la réalité des faits au profit des dirigeants. Dernièrement, le sénateur Républicain Mc Cain, qui est en théorie un allié du nouveau président, a d’ailleurs comparé la stratégie médiatique du Président Trump aux dictatures qui font taire la presse dès la prise de pouvoir. L’ancien président George W Bush a également souhaité s’exprimer en ce sens, faisant un retour remarqué sur la scène médiatique. Un sujet qui interroge, au point que le livre 1984 de George Orwell se trouve aujourd’hui au sommet des ventes aux Etats-Unis.
Médias et analystes parlent désormais de l’ère de la « post-vérité » dans laquelle tous les points de vue se valent, même s’ils ne reposent plus sur les faits avérés. Comment les médias peuvent-ils se positionner au sein de ce nouvel environnement ? « Les médias américains se gardent aujourd’hui d’afficher des positions idéologiques. Bien au contraire, ils reviennent aux fondamentaux du journalisme : rapporter les faits tels qu’ils se sont déroulés », souligne Julian Sancton. « Les propos de Trump sont tellement choquants et outranciers qu’afficher la vérité suffit amplement à le contredire, explique un autre journaliste correspondant à New-York sous couvert d’anonymat. Mais de son point de vue, ceux qui doutaient déjà des médias –et ils sont hélas nombreux- ne changeront pas d’opinion sur le journalisme ». Dans ce cadre, le New York Times et le Washington Post redoublent aujourd’hui d’efforts pour faire du fact-checking, faisant fi des supporters de Trump… et gagnant au passage de nombreux lecteurs et abonnés. Néanmoins, les débats en interne, au sein même des rédactions, sont intenses : Gerry Baker, du Wall Street Journal, a ainsi demandé à ses équipes d’être neutres, voire de ne pas qualifier de mensonges certains faits erronés énoncés par Trump… avant de se faire tancer par les journalistes. Du côté du New York Times, un vrai examen de conscience collectif est en cours depuis que Liz Spayd la médiatrice du grand quotidien, a demandé aux journalistes de citer plus régulièrement le nom des sources pour asseoir les propos rapportrés et convaincre les lecteurs de la fiabilité de l’information.
A ce qu’il considère comme des attaques personnelles (qui ne sont en fait que l’exposition de faits avérés contredisant ses déclarations), le président Trump a d’ores et déjà répliqué en donnant la parole, en priorité, à des journaux de seconde zone lors de ses conférences de presse à la Maison Blanche ou même en refusant d’inviter certains médias (CNN, en l’occurence) à ses briefings. On a assisté à des scènes cocasses où le journaliste montre patte blanche en complimentant le président avant de lui adresser une question, En un mois et demi, une véritable guerre s’est engagée sur fond d’insultes dont l’expression « Fake news » est le parangon et LE leitmotiv du président sur Twitter. Cette escalade est-elle durable ? « On ne peut rien prédire mais les choses ne vont pas aller en s’arrangeant, de mon point de vue, explique un journaliste américain en off. Quand on entend Steve Bannon, premier conseiller de Trump, antisémite notoire, architecte de l’Alt Right et ancien patron du journal d’extrême droite Breitbart News, annoncer que « les médias doivent se taire» ou que « l’obscurité est bonne », on est en droit de s’attendre au pire ». D’ailleurs, lorsque l’on examine de près le discours du nouveau président, il emprunte ouvertement le lexique de l’extrême droite. La seule expression « America First » est une reprise du discours de Charles Lindberg, leader d’un mouvement d’extrême droite des années 30. « Néanmoins, plusieurs éléments jouent en la défaveur de Trump et sont autant d’angles d’attaques potentiels pour la presse, tempère Julian Sancton. Par exemple, il ne vérifie pas la légalité de ses ordres, ne consulte pas les spécialistes : ce désir de la jouer solo peut entraîner sa chute ». De plus, la presse peut l’attaquer sur son absence de transparence : il n’a toujours pas publié sa déclaration d’impôts et la liste de ses investissements à l’étranger, une première depuis Nixon ! Enfin, Trump a, depuis longtemps, un rapport ambivalent aux médias: il lit la presse et regarde les chaînes d’information en continu tous les jours. Il est obsédé par son image publique, au point de recouvrir les murs de son bureau à la Trump Tower d’articles le concernant. Cette obsession peut constituer un véritable levier d’action pour la presse.
A ce jour, les journalistes américains n’ont pas organisé de mouvement commun afin de contrer cette politique qui met à mal la liberté d’informer le public. C’est encore trop tôt… Cependant, certains réseaux journalistiques, comme Pro Publica, couvrent de façon indépendante cette présidence et collaborent à de nombreux reportages. Les médias vont avoir un rôle crucial à jouer dans les prochains mois en tant que contre-pouvoir… mais nul ne peut se vanter de connaître l’issue de cette confrontation !
Depuis 30 ans, Olivier Millet évolue dans le monde du Capital Investissement, terme largement usité aujourd’hui et qu’il a lui-même inventé en 1989 pour traduire l’expression « Private Equity ». Aujourd’hui à la tête de l’AFIC, association professionnelle qui regroupe les quelques 300 sociétés de capital-investissement actives en France, il défend une autre idée des fonds, ce qu’il appelle « la quatrième voie capitaliste ». Portrait.
De passage à Paris, j’ai rencontré Olivier Millet, président du directoire d’Eurazeo PME et président de l’AFIC. Avec un parcours professionnel remarqué, Olivier a contribué à fonder des grands noms du Private Equity, Barclays PE France (devenu Equistone) et OFI PE (devenu Eurazeo PME) pour n’en citer que deux.
En cette fin d’année, Olivier est visiblement enthousiaste pour le secteur du Private Equity et également confiant pour la suite : « 2016 sera une belle année pour les fonds français qui attirent de nombreux investisseurs étrangers (la moitié des fonds levés au premier semestre 2016). En 2015, nous avons récolté près de 10 milliards d’euros au total et nous poursuivons cette trajectoire ascendante. » Les fonds français affirment en effet leur attractivité et retrouvent progressivement les niveaux de la période 2005-2008 (étude Grant Thornton). Côté investissement, leur activité est également très soutenue : au premier semestre 2016, les membres de l’AFIC ont collectivement investi 5,5 md€ (+47% vs S1 2015).
La France se hisse à la première place du capital investissement européen par le nombre d’entreprises accompagnées. « Notre pays a un véritable atout : elle recèle un grand nombre de sociétés non cotées de petite taille, deux fois plus que le Royaume Uni, explique Olivier. Les fonds sont là pour transformer toutes ces PME en ETI ». Désormais, il faudra parler de « Capital Transformation ». Sur les 6 premiers mois de 2016, plus de 1000 entreprises (+23%) ont ouvert leur capital aux fonds. L’objectif de l’AFIC est clair : booster cette tendance positive non sans poser les bases d’un capital investissement, à la française.
Loin de se satisfaire de ces bons chiffres, Olivier Millet en questionne le sens et se demande quel est l’ADN de ce Capital investissement français émergent: « Une véritable révolution capitaliste est en marche, explique-t-il dans les colonnes du Figaro. Le capital-investissement émerge comme le quatrième pilier du capitalisme, plus collectif et adapté à l’air du temps, aux côtés des formes plus traditionnelles de l’actionnariat, familial, boursier et d’État. Il est désormais structuré et très segmenté.» Olivier Millet défend ainsi avec force un « capitalisme collectif et de rotation » où les fonds sont des investisseurs responsables et de longue durée, accompagnant les sociétés sur des périodes de 5 à 10 ans pour les faire grandir. « Peu de gens en ont conscience mais, en France, 10% des emplois sont liés au capital investissement, souligne-t-il. Les fonds sont des acteurs de l’économie réelle et participent du développement du tissu économique français. » Il faut noter que ce fervent défenseur de l’investissement responsable est heureux de constater que le capital-investissement français s’est collectivement emparé de l’ESG, devenu un thème d’action au quotidien. L’AFIC publie d’ailleurs depuis 3 ans un rapport annuel sur le footprint positif et l’effet d’entrainement du secteur dans ce domaine.
Cette sensibilité à la réalité du terrain a conduit également l’AFIC à publier chaque année un rapport indépendant avec EY sur l’impact économique et social du Private Equity. L’étude 2015, rendue publique ce 13 décembre, est éloquente : au total, 256 000 emplois ont été crées en France par le Capital investissement et ce en 5 ans seulement. « La dynamique de croissance des entreprises accompagnées par le capital-investissement français se poursuit et se traduit par de nouvelles créations d’emplois, nettes des suppressions, note Olivier Millet. Avec l’objectif que s’est fixé le capital-investissement français de doubler à 5 ans les capitaux disponibles pour les entreprises ayant des projets de transformation, le secteur est un réel levier pour accompagner la reprise de la croissance économique et de l’emploi. »
Un succès également en termes de croissance : fin 2015, les entreprises françaises accompagnées par le capital-investissement français affichent un chiffre d’affaires cumulé de 225 milliards d’euros, soit l’équivalent de près d’un cinquième du chiffre d’affaires cumulé du CAC40 à la même date. La croissance de leur chiffre d’affaires est près de 3 fois supérieure au PIB nominal français entre 2010 et 2015 (+33,2% vs + 12,5%), et près de 2 fois supérieure en 2015 (+3,7% vs + 1,9%).
Et Olivier Millet de conclure notre rendez-vous avec un message à diffuser en France mais aussi au-delà de l’Atlantique : « Le private equity est en train de contribuer à construire les bases de l’économie de demain. Via cette quatrième voie capitaliste, il est possible d’envisager un avenir où les intérêts de la société convergent, qu’il s’agisse des entreprises, des citoyens et de l’Etat. » Pour soutenir cette tendance, il voit toutefois « deux adaptations nécessaires en France : une meilleure fluidité de l’épargne vers le non coté, et une évolution des mécanismes qui figent le capital des PME ».
De New-York à San Francisco, quand on parle des fonds français présents aux US, un nom revient systématiquement, celui de Partech. Rien d’étonnant : cet investisseur pionnier a ouvert son premier bureau à San Francisco en 1982, alors qu’il était encore une filiale de Paribas. Depuis, il a pris son indépendance et s’est déployé à Paris et Berlin et enregistré un bon nombre de success stories qui ont fait la Une des médias, de Business Objects à PriceMatch (acquis par Booking.com) en passant par Pulse.io (acquisition de Google). Le fonds revendique 21 introductions en bourse et plus de 50 cessions stratégiques supérieures à 100 millions de dollars auprès de grandes entreprises internationales. Leur dernière actualité en date : la levée de 100 millions d’euros pour leur nouveau véhicule d’amorçage. Nous avons donc rencontré Reza Malekzadeh, Général Partner de Partech basé dans la Valley, i.e. le Français le mieux placé aux US pour nous parler de Private Equity des deux côtés de l’Atlantique.
Reza, tu possèdes une très solide connaissance du milieu des VC américains et français : quelles sont les principales différences en termes de travail ?
Les différences sont notables à toutes les étapes de l’investissement. Tout d’abord, en France, les entreprises passent souvent par des apporteurs d’affaires, ce qui n’existe absolument pas ici. Faire appel à un leveur de fonds dans la Valley serait même perçu comme un très mauvais signe envoyé aux fonds. Aux Etats-Unis, le networking est la clé pour trouver des deals : les investisseurs misent sur leur réseau personnel, développé au fil de leur carrière. C’est un métier très humain, où la notion de confiance est centrale.
La vitesse d’investissement est également bien plus rapide aux US qu’en Europe : comment l’explique-t-on ? Et qu’en est-il en termes d’accompagnement ?
C’est vrai, les fonds américains sont très réactifs avec une réelle volonté de préempter les deals. Les investisseurs de la Valley veulent aller directement sur le terrain alors que les Français accordent beaucoup d’importance à la due diligence et à l’analyse en amont. Ces derniers ont une approche plus prudente et donc attendent plus longtemps avant d’investir. Pour donner un exemple, le fonds Benchmark Capital (investisseur de la première heure dans Twitter, Uber Snapchat…) a engagé 10 millions d’euros auprès de Docker, avant même que ce dernier n’ait sorti de produit ! On explique cette réactivité par une culture business et l’acceptation d’échouer, typiquement américaines. En termes d’accompagnement des entreprises, les fonds américains ne sont pas plus « hands-on » et on ne peut pas dire que les investisseurs soient plus présents auprès de leurs participations. Toutefois, la principale différence reste toujours la réactivité : ils sont là dès que l’on a besoin d’eux et très à l’écoute des besoins de leurs investissements.
Quel conseil donnerais-tu à un fonds français qui veut s’installer aux US ?
La clé est de comprendre la culture locale de la Valley et de savoir s’y adapter. Ici, les codes business sont extrêmement différents. Les investisseurs ont, par exemple, pignon sur rue : quand on cherche à joindre quelqu’un, qu’il soit de haut niveau ou non, on obtient une réponse rapide et directe de son interlocuteur. D’ailleurs, il ne faut pas s’étonner de l’aspect abrupt de certaines réponses : les gens ne veulent pas vous faire perdre de temps. Cela vaut pour bien d’autres codes également. Le tout est de les connaître et de savoir les employer.
Quelle est l’image des fonds français et plus particulièrement de Partech ici ?
Les relations entre les fonds US et les fonds français sont très bonnes. Pour preuve, il n’est pas rare de les voir co-investir dans des start-ups ici : je peux ainsi citer notre investissement dans Tribe dans lequel Sequoia est partie prenante. Partech est vu comme un fonds européen transatlantique qui a un accès privilégié à un dealflow européen. Plus globalement, je ne pense pas que la France ait un problème d’image mais elle devrait plus miser sur ses atouts. Je fais notamment référence à l’intelligence artificielle ou à nos data scientists, deux domaines dans lesquels nous sommes en avance et que nous devrions mieux valoriser ici. Sur ces questions, les efforts de BpiFrance et de la French Tech vont dans la bonne direction même s’il reste encore beaucoup de marge avant d’arriver au niveau des Israéliens et des Indiens qui savent très bien se vendre dans la Valley.
Quelles sont les perspectives dans la Silicon Valley pour les prochains mois ?
Depuis un an, on a observé une correction des valorisations. Le dealflow a été nettoyé, écartant les entreprises trop valorisées. Je crois que ce réajustement est un bon signe : les entreprises constituent à présent leurs dossiers avec beaucoup plus de soin. En ce qui concerne Partech, nous allons continuer notre développement ici mais également sur la côte est des Etats-Unis pour construire de nouvelles success stories !
« Pour développer encore notre écosystème, il faudra poursuivre sur plusieurs années le travail de fond entrepris jusque-là »
Pour poursuivre notre grande série sur les fonds français présents aux Etats-Unis, la rencontre de Bpifrance, présent outre-Atlantique depuis deux ans, était incontournable. Avec deux bureaux sur le sol américain, sur les côtes Est et Ouest, le grand fonds d’investissement français examine localement 240 dossiers par an. Nous avons rencontré Romain Serman, directeur de Bpifrance USA, qui a souhaité nous faire part de ses ambitions et décrire le positionnement des start-ups et fonds français aux Etats-Unis.
Quelles sont les raisons qui ont amené Bpifrance à s’implanter aux Etats-Unis?
RS: Nous faisons aujourd’hui le constat suivant : depuis 3 ou 4 ans, on assiste à un véritable boom entreprenarial des start-ups tech en France. Le marché français est suffisant pour engager une traction, mais il reste, à terme, limité en taille, puisqu’il ne représente que 3 % du marché mondial de l’IT. Aujourd’hui, les entrepreneurs qui souhaitent créer une entreprise globale et toucher un marché plus large doivent s’internationaliser. C’est un modèle que l’on trouve depuis très longtemps en Israël, par exemple. Là-bas, les entreprises sont face à un marché de très petite taille. Elles développent donc leurs produits sur place et l’exportent très rapidement aux Etats-Unis, leur marché naturel. Présents dans la Valley depuis plus de 15 ans, avec de nombreux succès à leur actif, les Israéliens sont imbibés de cette culture business californienne. Au total, il y a ainsi 85 entreprises israéliennes cotées au Nasdaq !
Pourquoi accompagner des entreprises françaises dans la Silicon Valley ?
Tout d’abord, le marché américain de la tech recèle un potentiel énorme, puisqu’il représente 50% du marché mondial. Par ailleurs, il s’agit d’être au plus près de ses concurrents comme des centres où se décident les futurs standards technologiques. Enfin, et c’est peut-être l’essentiel, dans la Silicon Valley, on a accès immédiat à un savoir-faire unique, s’agissant des start-ups comme des fonds de Private Equity. Les VC [Venture capitalist, ou capital-risque NDLR] sont présents ici depuis 30 ans et examinent les dossiers du monde entier : ce sont des investisseurs qui ont une connaissance encyclopédique du domaine et qui affichent les plus beaux track-records au monde. Je suis convaincu que ce savoir-faire doit circuler pour faire progresser notre propre écosystème et qu’il faut aller chercher l’expérience là où elle se trouve.
Quels sont les profils de start-ups françaises que vous rencontrez aux Etats-Unis?
Généralement, les entrepreneurs français se développent aux Etats-Unis sur un modèle « distribué ». La R&D est souvent conservée en France, car elle est moins onéreuse, le turnover des ingénieurs y est plus faible et les développeurs disposent d’un très haut niveau de qualification. Aux Etats-Unis, les start-ups françaises implantent un bureau qui comprend, le plus souvent, le CEO, les « sales », le marketing et le « customer support / success ». L’entrepreneur qui immigre a un rôle clé dans cette organisation, car il est celui qui lève des fonds, recrute et qui incarne la vision de son entreprise, les 3 fonctions-clefs du CEO ! Enfin, c’est souvent une condition sine qua non dans la Valley – la présence du CEO – car les fonds américains adoptent une attitude très « hands-on » et veulent pouvoir rencontrer à tout moment les entrepreneurs qu’ils accompagnent.
Quelles sont, plus précisément, les missions de Bpifrance aux Etats-Unis ?
Nous suivons trois grands axes de développement dans la Valley :
En tant que fonds d’investissement français, quels sont vos atouts ici ?
Bpifrance a une importante force de frappe, ce qui nous permet de réaliser des investissements conséquents dans l’environnement très exigeant de la Silicon Valley. Au-delà de l’aspect financier, qui peut être bloquant pour des fonds d’investissement de plus petite taille, la difficulté principale est d’entrer dans le cercle très fermé des fonds historiques de la Valley. Il va sans dire que ces derniers n’attendent pas les fonds français et sont « auto-suffisants » dans leur fonctionnement. C’est donc en apportant notre propre valeur ajoutée et en démontrant que notre savoir-faire est complémentaire que nous parvenons, au fil des années, à gagner la confiance et l’intérêt des fonds locaux. Concrètement, cela passe par un travail quotidien de rencontres avec les VC américains -150 au total depuis le mois de janvier- mais aussi de communication sur les atouts des entreprises venues de France. Nous organisons ainsi des dîners en cercle restreint sur des thèmes transverses, où notre point de vue a une véritable valeur ajoutée. Pour ne citer que deux exemples, nous avons notamment organisé un événement autour des fondateurs d’entreprises issus de l’immigration (une licorne sur deux est fondée par des immigrants) et un dîner sur l’intelligence artificielle, domaine dans lequel la France dispose d’une avance conséquente.
Comment envisagez-vous l’avenir ici pour nos start-ups ?
Je suis extrêmement optimiste pour la tech française. La déferlante observée depuis deux ans n’est pas près de s’arrêter et gagne chaque jour en qualité. La France donne naissance à des entreprises très innovantes. Pour développer encore notre écosystème, il faudra néanmoins poursuivre sur plusieurs années le travail de fond entrepris jusque-là. Les « cocoricos », c’est bien, c’est sympa, c’est surtout nécessaire pour contrer l’indécrottable pessimisme français, mais soyons aussi réalistes et humbles : il nous reste énormément de travail à réaliser et les marges de progression de nos entrepreneurs, comme les nôtres évidemment, sont encore considérables. Bref, on progresse fort mais ce n’est, à mon sens, que le tout début de l’émergence de la tech française. C’est excitant ! C’est là tout le rôle de Bpifrance que de soutenir ce mouvement des start-ups françaises.
Pour en savoir plus: bpifrance.fr
Journaliste depuis plus de 10 ans pour les publications américaines les plus prestigieuses, Julian Sancton révèle l’envers du décor des médias américains. Ce passionné de culture est actuellement Senior Features Editor au sein de la rédaction de Departures, bimestriel de luxe consacré aux voyages. Ses derniers reportages ont porté sur des sujets aussi divers que le Musée du Louvre à Abu Dhabi ou l’île privée de Marlon Brando.
Anna : En guise d’entrée en matière, pourriez-vous nous raconter la façon dont vous êtes devenu journaliste et décrire votre parcours professionnel ?
Julian : Après un bac en France et des études d’histoire aux Etats-Unis, j’ai travaillé pour une maison de production de documentaires, puis, je suis rapidement entré à la rédaction de Vanity Fair comme stagiaire. J’y suis resté 7 ans, pendant lesquels j’ai gravi les différents échelons. Ensuite, j’ai intégré le magazine Esquire pour développer une appli sur Ipad. Ce projet était passionnant car, à l’époque, on pensait que le web sauverait l’industrie, voire remplacerait le papier. Je suis ensuite passé chez Bloomberg comme « editor » et ai travaillé en freelance en tant que « writer » pour différentes publications (Esquire, Playboy, The New Yorker…). Ici, les journalistes changent régulièrement de magazine mais souvent au sein d’un même secteur. Il n’est pas rare de revoir les mêmes têtes au fil des années d’une rédaction à l’autre, dans le domaine du luxe par exemple. Je suis aujourd’hui Senior Features Editor spécialiste de la culture, de la technologie et des voyages chez Departures, magazine de luxe du groupe Time Inc.
Les titres et fonctions ont des acceptions très différentes aux Etats-Unis. Quand on parle de « writer », qu’entend-on ici ?
Aux Etats-Unis, le concept de « writer » est très particulier et n’a pas de réel équivalent en France. Le « writer » est quelqu’un qui vit de son écriture au sens large : il peut être rédacteur dans les médias mais aussi pour des entreprises, des associations et il peut travailler sur une large palette de sujet. C’est, globalement, un producteur de contenu. En France, le métier de journaliste recouvre un statut professionnel à part entière et est entièrement dédié aux médias.
L’organisation au sein des rédactions est-elle également très différente aux Etats-Unis ?
L’organisation américaine est en effet très spécifique et extrêmement hiérarchisée. En dessous du rédacteur en chef (« Editor in chief») il y a une série d’ « Editors ». Ces derniers, au fil des années, obtiennent des promotions ou des grades, un peu comme à l’armée. L’ordre hiérarchique est, en général, le suivant : « editorial assistant < editorial associate < assistant editor < associate editor < senior editor < articles editor < senior features editor < deputy editor < editor in chief». Plus on grimpe dans cette hiérarchie, moins il y a de monde car, à chaque étape, il y a un gros écrémage. Tout en haut, le editor in chief est souvent très expérimenté : cette fonction est très prestigieuse ici… et peut parfois être rémunérée des millions de dollars. Chaque Editor, quel que soit son rang, dirige un pool de « writers », free-lances ou employés, que l’on nomme une « stable » (étable en français) mais qui ne sont pas rattachés à un seul editor. Le rôle de ces Editors est de réécrire, de relire et de corriger les articles de ses « writers », de trouver des idées nouvelles, d’indiquer des grandes lignes ou des angles à ces derniers.
Quelles répercussions concrètes a ce type d’organisation sur le produit final ?
Il faut savoir que chaque article qui est publié a été relu par le « writer », son « editor », le « copy editor » (qui corrige les fautes formelles), le « Editor in Chief» et, personnage clé, le « fact-checker ». Ce dernier n’a pas d’homologue en Europe. Il s’agit d’un correcteur qui est chargé de vérifier l’orthographe des patronymes mais surtout des sources des journalistes. Il y a un à deux « fact-checker » dans chaque rédaction pour investiguer la véracité de l’information.
Comment expliquez-vous cette obsession pour la vérification des articles ?
Aux Etats-Unis, les médias de premier plan sont extrêmement attachés à l’objectivité et à la véracité de l’information qu’ils publient. Leur image se joue fondamentalement sur ce critère qualitatif. Il y ainsi un grand nombre de règles tacites respectées de tous. En voici quelques-unes : on cite toujours sa source, c’est une obligation. A partir de trois sources concordantes et sans lien entre elles, on estime que l’information est vérifiée. Le « fact-checker » s’assure donc que les sources se recoupent en demandant des preuves aux journalistes (e-mail, enregistrement, vidéo…). Autre règle : lorsqu’un journal met en cause quelqu’un (CEO, homme politique, société), il accorde automatiquement un droit de réponse à ce dernier afin d’équilibrer le discours. Nous sommes dans la recherche permanente de neutralité et de « fairness » pour équilibrer les points de vue au sein de la partie reportage, toujours bien distincte de la partie « opinion ».
Quelle comparaison pouvez-vous faire à ce sujet avec la presse européenne ?
Je dirais que la presse française est une presse d’opinion, dans laquelle l’orientation politique prend parfois le pas sur les faits réels. Grand lecteur du journal Le Monde, je suis parfois étonné de trouver des fautes de fond et de forme (notamment dans les noms propres) malgré la qualité de ce quotidien. Certains articles ne passeraient pas aux Etats-Unis. Quant aux journalistes anglais, avec qui nous collaborons souvent, ils ont tendance à dire que nous, Américains, sommes trop rigides quant au « fact-checking ». Pour ma part, j’admire vraiment l’écriture des journalistes anglais… même si ils ont parfois tendance à être peu scrupuleux. Il m’est arrivé de travailler avec un grand journaliste anglais qui invente souvent ses sources. Enfin, autre grande différence d’approche médiatique : alors qu’en France la presse quotidienne suppose que les lecteurs sont au courant de tous les sujets—au point de faire allusion à des intrigues complexes avec les seuls mots « l’affaire x, »—la presse américaine, elle, a tendance à toujours tout remettre en contexte en préambule d’un article. Le résultat est que quelqu’un qui lit un journal américain après une longue absence n’a aucun mal à comprendre les articles, ce qui ne serait pas le cas en France.
On sait qu’à New-York, il y a 20 attachés de presse pour un journaliste. Les relations entre le monde des RP et celui des médias sont-elles complexes ?
Avec l’essor des agences de RP, on constate que, nous, journalistes, sommes extrêmement sollicités. Je reçois plusieurs centaines d’emails par jour, je suis donc obligé d’effectuer un tri rapide. Tout d’abord, je ne porte mon attention que sur les emails qui sont personnalisés et qui me sont vraiment destinés—sauf bien sûr si l’expéditeur est une institution que je connais déjà bien. Je mets de côté les messages envoyés à plusieurs journalistes en même temps et les emails trop « léchés » (type publicité avec photos). Un email peut parfois me donner une bonne idée d’article, c’est pourquoi j’ai l’habitude de conserver les messages dans ma boîte même si je ne les ouvre pas dans un premier temps. Un tour rapide dessus peut m’inspirer un sujet. Par ailleurs, je pense que les attachés de presse ne doivent pas hésiter à faire des relances personnelles par mail ou par téléphone (auquel je réponds rarement mais dont le répondeur peut écrire un message que je reçois dans ma boîte email). Je fais rarement des rencontres ou des déjeuners RP et lorsque cela arrive, il faut que la relation existe depuis longtemps et soit solide. Ou que je sois déjà passionné par le sujet.
Un dernier mot sur l’actualité du moment : que pensez-vous du traitement médiatique américain local de la campagne présidentielle ?
A chaque élection, les commentateurs se plaisent à dire que l’on assiste à une campagne très différente, inédite. Je dirais que, pour une fois, ce poncif est justifié. D’une part, avec Donald Trump, on se retrouve avec un candidat sans scrupules et sans respect pour les médias. Il a pris la main sur les réseaux sociaux via son compte Twitter personnel pour s’exprimer auprès du grand public. Aussi, il passe d’un sujet à l’autre sans transition pour prendre au dépourvu la presse. Cette dernière ne sait pas sur quel pied danser : dès qu’il lance un sujet polémique, les médias travaillent dessus pour contrer ses arguments mais il passe à une autre thématique. Comme je le disais, nous sommes ici très soucieux du fact-checking mais à cette vitesse, c’est peine perdu ! Nous sommes pris de court en permanence. De son côté Hillary Clinton, qui avait une méfiance viscérale de la presse voit aujourd’hui que les médias sont incontournables. On sent un changement opérer chez elle. La fin de la campagne sera très intéressante de ce point de vue.
Sous l’impulsion des réseaux sociaux, des blogs spécialisés et de la digitalisation de l’information, le secteur des médias a récemment connu une profonde mutation aux Etats-Unis qui remet en question l’ensemble du secteur et ses acteurs.
Le nombre de publications et de médias a connu une explosion sans précédent aux Etats-Unis au cours des dernières années. Radios, TV, journaux online pointus et ultra spécialisés voient le jour quotidiennement, cherchant à offrir à chaque individu-client une information sur-mesure toujours plus ciblée sur ses sujets de prédilection. En 2016, on compte plus de 1300 quotidiens, 8200 sites d’information en ligne et 39 000 journalistes employés sur le territoire américain. Si certains s’amusent de cette offre pléthorique, d’autres s’interrogent sérieusement sur un phénomène qui peut conduire à une véritable désinformation et à la diminution, par une forme de dilution, du pouvoir des grands médias « professionnels ».
Medias: la digitalisation change la donne
Le phénomène n’est pas entièrement une nouveauté : la digitalisation des médias s’accentue de jour en jour aux Etats-Unis comme en Europe. C’est depuis 2006 que la presse papier américaine voit ainsi son revenu et le nombre de ses lecteurs décroître continuellement, ces derniers se tournant progressivement vers le web et les réseaux sociaux, comme le montre le graphique suivant :
Source : Oxford (Reuters Institute)
L’utilisation des téléphones portables et le développement des réseaux wi-fi gratuits partout sur le territoire américain, notamment dans les grandes métropoles, a entraîné un véritable plébiscite pour ce moyen de communication qui offre un accès facilité à l’information Selon le rapport du Pew Research Center sur les médias US en 2015, les usages des lecteurs américains ont ainsi connu une révolution qui s’est largement accentuée cette dernière année : aujourd’hui 39 des 50 plus grands sites d’information online sont consultés en majorité à partir d’un téléphone mobile. Conséquence : au-delà des formats courts qui sont privilégiés, la lecture de l’information s’en trouve accélérée et excède rarement 4 minutes par article.
Aussi, au sein de ce nouvel environnement médiatique, observe-t-on désormais deux grandes tendances émergentes et diamétralement opposées, résumées par le graphique ci-dessous :
Source : Businesswire
En à peine un an, Buzzfeed, mélange d’entertainment et d’informations peu fouillées, a ainsi imposé son modèle en doublant sa part d’audience (voir rapport Tow Center for digital journalism). Paradigme d’un nouveau type de journalisme évalué au nombre de clics, il semblerait que son ascension soit implacable. Doit-on alors considérer que les Américains privilégient désormais l’information superficielle dont les frontières avec le pur marketing restent floues ? Rien n’est moins vrai : à l’autre bout du scope, on voit désormais quelques grands médias traditionnels redresser la barre avec succès. En misant sur l’investigation journalistique, l’approfondissement de sujets d’actualité transverses, certains medias ont su tirer leur épingle du jeu. C’est par exemple le cas du Huffington Post ou du New York Times, dont les parts d’audience respectives ont augmenté d’un tiers en un an. Deux journalismes semblent donc se faire face actuellement, tout en continuant à chercher un modèle économique pérenne.
Des evolutions qui menacent journalistes et communicants?
Or, pour les communicants, l’avènement d’internet 2.0 va de pair avec une remise en question des pratiques traditionnelles des relations presse. Les journalistes sont toujours plus demandeurs de contenu prêt à l’emploi et interagissent directement avec les entreprises via les réseaux sociaux, reléguant parfois les communicants à un rôle annexe. Richard Anderson, fondateur de Thomson Financial’s Global Consulting Group explique pourquoi les conditions de travail se sont durcies : « La relation des communicants aux médias a connu une profonde évolution. Certes, il existe encore de grands médias (télévision, radio et hebdomadaires) incontournables pour un public large. Mais leur modèle s’est transformé : au fil des ans, et du fait de contraintes économiques, on a accordé davantage d’espace à la publicité, au détriment du pur contenu journalistique. A ce titre, la concurrence dans les relations presse s’est accrue à New-York pour remplir cet espace de plus en plus réduit. » Aujourd´hui à New-York, le ratio attaché de presse / journaliste est de 30 pour un, loin devant le ration parisien de 4/1. Dans une interview, ce communicant chevronné décrit également l’impact d’internet sur l’écosystème des médias outre-Atlantique: « Les communicants et les journalistes ont de moins ne moins de rapports humains, tout passe désormais par la technologie (e-mails et média sociaux). » Les journalistes disposent rarement d’un numéro de téléphone direct où on pourrait les joindre. De plus, avec l’essor des réseaux sociaux, notamment de Twitter, ces derniers accèdent directement à l’information et peuvent interagir en direct avec les entreprises. Les relations presse doivent donc redéfinir leur rôle, en misant sur leur capacité à construire des messages : « Les communicants ont toujours une utilité et un rôle à jouer auprès des médias. Nous savons raconter une histoire et écrire un pitch efficace. En tant que spécialistes des médias, nous pouvons adapter le discours d’une entreprise à l’angle recherché par un journaliste en fonction de la ligne éditoriale de sa publication. Dans des situations de communication de crise, en tant que tierce personne, nous avons également plus de légitimité à contacter la presse que l’entreprise elle-même ».
Si les perspectives du secteur des médias engendrent des remises en question pour les communicants, le phénomène est également vrai pour les journalistes : tous voient dans ces évolutions un risque réel de confusion entre marketing et pur journalisme. Dans le rapport annuel Business Wire Media Survey, les journalistes expriment ainsi leur vision mais surtout leurs appréhensions face à la transformation rapide de leur écosystème. A la question « quel est votre sujet d’inquiétude principal autour du secteur des médias ? », ils répondent à 66,5% « le nombre de clics prend le pas sur la qualité des contenus journalistiques ». Autrement dit, les journalistes sont de plus en plus évalués en fonction de critères marketing, au détriment du fond, Buzzfeed en étant le meilleur exemple. En deuxième position, la robotisation du journalisme et la déshumanisation de la fonction inquiète les professionnels des médias. Du côté des communicants, Richard Anderson partage le même constat : « Progressivement, la Muraille de Chine qui séparait traditionnellement le marketing et le journalisme est en train de s’effriter. La presse est de plus en plus prise en otage par les contraintes économiques et les groupes dont elle dépend. Je ne suis pas très optimiste car cette tendance est vouée à s’amplifier dans les prochaines années. Heureusement, nous sommes encore loin d’autres modèles anglo-saxons tels que le modèle britannique dans lequel les frontières entre journalisme et marketing sont depuis longtemps très floues ! » A en croire cette affirmation, le modèle médiatique américain possède toujours une marge…. et conserve avant tout cette capacité à s’interroger et à se réinventer !
Anna Casal