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La vidéo dans les médias : piège ou planche de salut ?

Chaque minute, 400 heures de vidéos apparaissent sur la plateforme Youtube, soit 210 milliards d’heures par an. Un taux de croissance exponentiel, porté par une demande toujours plus vertigineuse de la part des internautes. Si l’attrait pour l’image en mouvement est bien palpable, quelles sont les implications de cette tendance de fond pour le secteur des médias ?

En décembre dernier, le Huffpost américain, mu par l’essor de la vidéo en ligne, a remplacé les images statiques par des GIF, en guise de produit d’appel pour ses vidéos. Ce changement en apparence anodin a pourtant incité les lecteurs à cliquer plus souvent sur les articles ainsi illustrés : en à peine trois mois, le nombre de vidéos visionnées par des utilisateurs uniques a augmenté de 27%. Mark Zuckerberg, lors de la conférence annuelle des développeurs, en avril dernier, a à son tour assumé la primauté à la vidéo : « [La vidéo] est devenue plus centrale que le texte : l’écran de visionnage doit donc prendre plus de place que l’espace dédié à l’écrit, et ce sur toutes nos applications ». Le corollaire est le lancement de Watch, espace dédié à des programmes vidéo exclusifs. Dans le sillage de cette idée, une nouvelle expression consacrée est apparue dans le secteur des médias, « Pivot to video ». Ce terme marketing, utilisé plus de 14 000 fois cet été sur les réseaux, désigne le passage du texte à l’image en mouvement, de l’écrit à la caméra. Une mode qui est même devenue un motif de plaisanterie, comme l’illustre le tweet de cette journaliste de Skynews, Molly Goodfellow. (« Comment avouer à mon meilleur ami que je souhaite que notre relation pivote vers la vidéo ? »)

mobile goodfellow

Aux Etats-Unis, le premier journal à avoir pris ce virage fut, l’an dernier, Mashable, qui décida de se séparer d’une partie de ses rédacteurs pour engager des spécialistes de la vidéo. Un mouvement qui fit, en quelques mois, un grand nombre d’émules pour atteindre un pic cet été : MTV News puis Sport Illustrated, Fox Sports, Vocative, Mic et, enfin, Vice, comptent désormais remplacer une partie de leurs « writers ». Objectif affiché : devenir les « leaders du vidéo-journalisme »…. en mettant au placard les journalistes de presse écrite. Au sein des rédactions, certaines voix (voir cet article, par exemple) se sont élevées contre ces pratiques, voyant derrière ce repositionnement une bonne raison de réduire des équipes de rédacteurs jugées trop nombreuses. Ce graphique, qui recense les licenciements liés directement aux nouvelles stratégies orientées vidéo, parle de lui-même.

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SOURCE : Digiday

Mais la stratégie du « Pivot video » constitue-t-elle réellement la planche de salut des médias à la recherche de business models pérennes et de plus en plus dépendants des réseaux sociaux ?

On serait tenté de répondre par l’affirmative car, de fait, certaines histoires font rêver. C’est le cas de « Brut », lancé en France en novembre 2016 par le producteur Renaud Le Van Kim et le co-créateur de Studio Bagel, Guillaume Lacroix. En moins d’un an, ce tout nouveau média dépasse les 100 millions de vues avec ses formats vidéos courtes, diffusées  sur Facebook et autres YouTube, et s’exporte aux Etats-Unis en embauchant sur place une équipe de 15 personnes. Dans la même mouvance, Keli Network s’est donné comme mission de créer une nouvelle génération de médias. L’idée centrale est de créer des médias thématiques 100% vidéo, diffusé exclusivement sur les réseaux sociaux. Pour l’instant quatre marques ont été lancés sur des sujets dont les internautes sont friands : jeux vidéo (Gamology), football (OhMyGoal), beauté (Beauty Studio) et innovation (Genius Club). Selon Michael Philippe, co-fondateur de cette société, cette démarche est au coeur d’une triple révolution : l’explosion du mobile comme support, la consommation sur les réseaux sociaux et l’explosion de la vidéo. Keli Network a d’ores et déjà levé 2 millions d’euros auprès de fonds comme Partech, OneRagTime, de business angels et de Broadway Vidéo Ventures (producteur connu de Jimmy Fallon). « Nous avons saisi l’opportunité dès qu’elle s’est présentée : dès qu’il y a une disruption, les premiers à prendre la place deviennent souvent des leaders. A l’époque du SEO, Aufeminin.com ou Doctissimo.fr avaient pris la balle au vol et n’ont, depuis, jamais perdu leur statut. C’est le même phénomène que l’on observe aujourd’hui avec la vidéo sur les plateformes sociales ». Keli Network a ainsi enregistre 1,9 milliard de vues sur le seul mois d’aout 2017.

A première vue, le marché de la vidéo est bien une vraie poule aux oeufs d’or pour médias et publicitaires : selon eMarketer, l’investissement dans la publicité vidéo a atteint 10 milliards de dollars l’an dernier aux Etats-Unis. Et les projections du même institut sont très favorables : ce marché devrait dépasser les 18 milliards en 2020, au point que les agences de publicité américaines consacrent aujourd’hui plus de la moitié de leur budget à ce type de format.

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Source: eMarketer

A cette croissance s’ajoute une dépendance toujours plus prégnante des médias aux plateformes sociales. Ces dernières, qui ne se cachent plus d’encourager les contenus vidéos en les promouvant sur le fil des internautes, ont une force de frappe telle qu’il s’agit, pour les médias, d’y être plus présents que jamais.

Mais attention : si tous ces indicateurs semblent converger, la réalité est pourtant beaucoup plus nuancée.

D’après ComScore, les médias qui ont « pivoté » à l’été 2017 ont vu leur audience chuter en moyenne de 60% au mois d’août par rapport à août 2016. Ainsi, Mic est-il passé de 17,5 millions de visiteurs à 6,6 millions (août 2016-août 2017) et l’interview exclusive d’Hillary Clinton revenant sur la dernière campagne présidentielle n’a enregistré que 26 000 vues sur Facebook. Comment expliquer un tel naufrage ?

Contrairement aux idées reçues, les jeunes générations sont plus friandes de textes que d’images animées quand il s’agit d’informations, comme le prouve cette étude récente  du Pew Research Center. Les 30-49 ans privilégient la lecture d’articles (40%) au visionnage (39%) tandis que les 18-29 sont lecteurs à 42% (contre 38%). Contrairement à l’hypothèse faite par certains médias, l’augmentation du nombre de vidéos publiées sur internet ne relève pas d’une demande nouvelle visant le secteur des médias, en tous cas pas pour le domaine de l’information pure et dure. L’étude de Reuters Institute, le Digital News Report, corrobore cette idée : « malgré l’exposition croissante aux vidéos d’information, les préférences des internautes ont peu changé ces dernières années. 71% d’entre eux lisent des articles et 14% aiment de façon indifférente le texte ou la vidéo ». Joshua Benson, directeur du Nieman Lab, résume bien la situation : « L’idée juste selon laquelle les gens aiment les vidéos ne signifie pas qu’ils aiment les vidéos d’information ».

pew research center

Quels contenus cherchent donc les internautes quand ils regardent des vidéos ? Une étude récente menée par Buzz Summo sur un échantillon de 100 millions de vidéos postées sur Facebook a démontré que les thèmes qui génèrent le plus d’engagement sur les réseaux sont : la cuisine, la mode et les animaux…. la politique arrivant, par exemple, dans la partie basse du classement.

buzsumoA cela s’ajoute, pour les médias faisant le choix de la vidéo, un problème d’équilibre financier profond. D’une part, la monétisation de la vidéo sur les plateformes sociales reste à ce stade très limitée : il ne faut pas oublier que Google et Facebook s’octroient aujourd’hui 99% des revenus publicitaires digitaux (rapport IAB). Il devient difficile pour les médias qui publient sur les réseaux sociaux de savoir ce que rapporte réellement leurs contenus à ces derniers en termes publicitaires… sachant que les statistiques des plateformes sociales restent très opaques pour tout le monde. Facebook dit, par exemple, toucher plus de jeunes Américains qu’il n’en existe réellement ! D’autre part, pivoter vers la vidéo n’est pas sans engendrer des coûts supplémentaires cachés pour les médias : quand on publie un contenu, il faut s’acquitter de sommes conséquentes pour qu’il soit diffusé largement. Certains médias, comme le Chicago Tribune, voient que les articles et vidéos sont de moins en moins regardés sur Facebook alors même que le nombre de followers du journal augmente. La faute à un algorithme particulier et à l’avalanche d’informations qui déferle sur les réseaux. Enfin, les médias doivent aussi investir dans du matériel adéquat et embaucher des spécialistes de la vidéo pour obtenir des produits de qualité… ce qui n’est pas moins onéreux qu’une solide rédaction de journalistes rédacteurs.

Pivoter vers la vidéo semble donc être un doux mirage auquel ont cru beaucoup de médias. Mais n’y a-t-il que des perdants dans cette bataille ? Loin de là : les purs players vidéos tirent aujourd’hui leur épingle du jeu. Démarrant à petite échelle, ils constituent progressivement leurs équipes avec des coûts fixes qui n’augmentent ensuite qu’en fonction de la demande et proposent des contenus qualitatifs pour toucher un public cible bien défini. C’est le cas de Brut, cité en début d’article, mais aussi de Konbini, qui ont bien su trouver leurs créneaux. Ce pur player de la vidéo dit « utiliser le levier de la pop-culture, c’est-à-dire traiter des sujets du quotidien pour susciter la discussion », selon les mots d’un de ses responsables. En publiant deux à trois vidéos par jour, Konbini s’est forgé une connaissance approfondie des 18-34 ans et de leurs attentes en termes d’information. Le groupe ne cherche pas la quantité de vues mais un réel engagement chez ses lecteurs.

Dans ce cadre, ces nouveaux médias s’appuient en général sur un business model simple : ils vendent du brand content sous forme de films aux marques et aux agences de communication pour financer, en parallèle, les vidéos plus « sérieuses » et indépendantes. Comme on le sait, avec Tasty, Buzzfeed a ouvert la voie à un nouveau type de médias qui créé lui-même son pôle publicitaire pour contourner la fuite des revenus publicitaires sur les réseaux sociaux. Aux confins de l’info et du loisir, l’infotainment a donc des ailes qui poussent…. ce qui peut, évidemment, susciter la critique : « Buzzfeed et Vice ont fait du mal à la profession de journaliste en faisant planer le doute sur l’impartialité de l’info et des messages véhiculés dans les vidéos. Il est pourtant aisé d’afficher clairement si le film est sponsorisé ou non. C’est notre choix depuis nos débuts et c’est ce qui fait aussi notre notoriété », explique un professionnel des medias.

« Il est aujourd’hui impossible de créer une boîte de médias qui se passerait des réseaux sociaux car toutes les audiences y sont présentes. Néanmoins, il ne faut pas oublier que ces plateformes ont besoin des éditeurs car elles vivent en partie de nos contenus », explique Michael Philippe. C’est bien sur ce constat que doivent s’appuyer les médias sans pour autant renier leur ADN au risque de s’effondrer. La vidéo peut sauver une partie des médias, ceux qui sont jeunes, agiles et dont le business model reste flexible. Pour les autres, le « pivot to video » n’est pas la meilleure idée qui soit.

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La troisième vague du journalisme aux US : les médias à la recherche du business model idéal

« Facebook est plus qu’une entreprise technologique, c’est une plateforme d’information » : cette phrase de Mark Zuckerberg, prononcée fin 2016, sonne comme un aveu et modifie radicalement la position officielle que ce dirigeant avait soutenue jusque-là. Les réseaux sociaux ont, en un court laps de temps, remplacé les médias en publiant de l’information gratuite, à même de toucher un public infiniment plus vaste que celui des médias traditionnels.. Au fil du temps, Google, Twitter, Facebook et consorts sont devenus de vrais « publishers » qui compilent et diffusent des articles, remettant par là même en cause les Business Models des médias américains classiques. Face à ce constat définitif et irréversible, les journaux US se sont vus contraints d’entrer dans « la troisième vague du journalisme » et ont été mis en demeure de concevoir rapidement de nouvelles voies de monétisation.

Clap de fin pour les Business Models des années 2000

Le dernier rapport du TowCenter for Journalism de Columbia, publié en mars 2017, évoque pour la première fois l’expression « troisième vague du journalisme », une notion qui fait référence à l’évolution rapide des pratiques médiatiques. Comme cela a souvent été observé, d’un modèle traditionnel, les médias sont progressivement passés à la digitalisation dès 1994 et l’avènement du web, plus largement diffusé à la fin des années 1990. Lors de cette phase –dite « deuxième phase du journalisme »- la préoccupation majeure des journaux était de transposer leur activité historique matérielle sur internet, sans pour autant remettre en cause leur business model traditionnel.

En effet, les médias ont longtemps fonctionné de la façon suivante : contenu et publicité (rectangles jaune et vert dans le schéma ci-dessous) étaient intégrés à un support (journal, télévision, radio…) puis distribués au public. Les médias dominaient de bout en bout cette chaîne.

Source : Straterchery

Lors de cette phase de digitalisation, les médias ont été convaincus que seul le support de consultation serait modifié et que le web serait un nouveau vecteur d’information, au même titre que la télévision ou la radio l’avaient été à une autre époque. Lors de cette phase, de nouveaux médias entièrement digitaux ont émergé, du Huffington Post à Buzzfeed, bénéficiant d’un accès accru à l’internet haut débit et à la démocratisation rapide du web.

Cependant, après ce passage au digital, les trois principales sources de revenus des médias se sont progressivement taries. « La première d’entre elles sont les petites annonces, dont la consultation est plus aisée sur le web grâce aux filtres, qui ont progressivement été soustraites aux journaux par des sites spécialisés comme Craiglist (l’équivalent de notre Bon Coin). C’est l’exemple-type de l’effet internet sur un secteur classique de l’économie : le premier domino à s’effondrer sur une longue chaîne. Ce changement de paradigme a ôté aux médias des revenus mais surtouti une part de leur audience… après, ce fut au tour des rubriques spécialisées puis des tribunes (pillées par les blogs) », explique Paul Strachman, investisseur chez ISAI et spécialiste de la tech. En parallèle, Google a capté le marché de la publicité. Enfin, la troisième source de revenus, les abonnements, a rencontré de grandes difficultés à résister au tout-gratuit. Face à cette évolution rapide, les grands médias ont cherché, à tâtons au départ, un nouveau modèle de développement, sans parvenir à revenir au niveau de revenus antérieur l’apparition du web.

Source : Straterchery

Ben Thompson, analyste et auteur du blog Straterchery, parle de « unbundling » (dégroupage, ndlr) pour décrire le phénomène : les médias ne dominent plus que la partie « Contenu » de la chaîne dont on parlait plus tôt.

Ce manque à gagner des entreprises de médias explique notamment la dégradation des conditions de travail des journalistes et les coupes claires dans les effectifs des grandes rédactions. Depuis l’avènement du web, le nombre d’employés a commencé à décliner au sein, notamment, de la presse écrite américaine.

Pour le grand public, la remise en cause du modèle intégré des médias traditionnels revêt nombre d’aspects positifs : enfin, on a accès, sans débourser un centime, à des sources d’informations multiples et de qualité… avec certaines limites. « La démocratisation d’internet a mis les internautes et les journalistes au même niveau : les premiers pouvaient, commenter, répondre, questionner, interpeler les auteurs d’articles, voire les rédactions de grands médias. Encore plus important, ce phénomène a créée une croyance parmis ces internautes que « mon ignorance vaut autant que leur savoir », avec une dégradation de la considération portée aux medias en genéral et au rôle de journaliste en particulier », explique Pierre Putois, responsable du bureau new-yorkais de Fabernovel. D’un point de vue social, le citoyen retrouvait un rôle actif au sein du système de l’information, de la démocratie, il pouvait organiser des mouvements citoyens ou faire entendre sa voix… tout en portant atteinte au rôle traditionnel des journalistes.

Selon les chercheurs de Columbia, l’ère de l’open web a atteint ses limites au moment où les consultations d’information via les smartphones et le web mobile privé ont pris la place des ordinateurs, soit à la fin des années 2000. Cette modification des usages a accéléré la montée en puissance d’une poignée de géants qui dominent aujourd’hui internet. « Lors des deux dernières années, la fusion des contenus d’information et des plateformes comme Facebook, Twitter, Snapchat et Google s’est fortement accélérée », expliquent les chercheurs du Tow Center. Dans l’histoire, aucun média n’a jamais bénéficié de l’audience de ces quelques acteurs. En 2016, eux seuls, ils concentrent 65% des recettes de publicité sur la toile, laissant les sites des médias classiques très loin derrière eux. Une tendance qui tend à s’accélérer puisque Facebook et Google s’arrogent aujourd’hui 90% de la croissance des revenus publicitaires. « L’influence de ces grandes sociétés sur les échanges d’informations est souvent gérée par des systèmes socio-techniques cachés et sous-tendue par des intérêts privés et non publics », note le rapport du Tow Center.

Des pistes pour de nouveaux Business Models

Face à cette évolution, les médias cherchent une porte de sortie. Comme le souligne Shane Smith, dirigeant et fondateur de Vice, interrogé par les chercheurs de Columbia : « En publiant sur les plateformes, vous donnez les clés de votre destin à un inconnu. Mais si vous n’êtes pas présent sur ces réseaux sociaux, dans ce cas, vous êtes morts, mais si vous y êtes distribués, alors vous ne gagnez plus d’argent (…) voilà le plus grand défi à relever pour les médias ».

 Dans le monde, certains médias continuent à miser sur leur site web, mais sont confrontés à d’autres écueils : les frontières entre la publicité et le contenu éditorial s’estompent progressivement. Les publicités « native », (ces « faux » articles à sensation que l’on trouve souvent en fin de page), « polluent » les grandes pages des médias et peuvent décrédibilisr leur contenu.

Aux Etats-Unis, dont les évolutions dans le domaine des médias et de la communication précèdent parfois celles du reste du monde, la remise en question de ce modèle est particulièrement profonde. Pierre Putois, qui dirige le bureau Fabernovel à New-York et aide les entreprises internationales à réussir leur transition vers le digital, en faisant interagir les médias français avec leurs homologues américains, note : « Après la perte d’une génération entière qui a cessé d’acheter les journaux de leurs parents, les médias américains ont compris qu’il fallait travailler cette audience en deux temps : séduire d’abord et fidéliser, voire faire payer ensuite.».

Ici, les médias essaient donc de trouver un Business Model idéal en lançant des projets qui durent quelques semaines, dans une perspective expérimentale très pragmatique pour toucher ces lecteurs potentiels. Les journaux produisent donc des contenus « natifs », c’est-à-dire dédiés aux réseaux sociaux et des contenus postés sur les réseaux, mais qui renvoient à leur page web (dit « networked content »). Ce « mix produit », comme on l’appellerait en marketing, varie selon les médias. Par exemple, quand le New York Times produit 16% de « native content » dédié uniquement aux plateformes (données de la semaine du 6 février 2017), Huffington Post en produit jusqu’à 66% sur la même période. Quel intérêt de délivrer du contenu sur les réseaux uniquement ? On assiste aujourd’hui au balbutiement de la monétisation. Ainsi, Facebook propose de partager avec les médias une partie des recettes publicitaires liées aux contenus des Facebook Instant Articles. De son côté, Snapchat négocie également avec les médias – même si cette pratique est très récente et se fait encore au cas par cas.

Toutefois, la dépendance aux médias sociaux n’est pas la panacée car elle comporte un certain nombre de risques. D’une part, les engagements financiers pour produire des contenus sur-mesure dédiés aux réseaux sociaux sont conséquents et engendrent des revenus directs et indirects difficiles à mesurer. A cela s’ajoute l’impossibilité de vérifier les données de trafic fournies par la plateforme et les revenus qui en découlent. Certains médias, comme Buzzfeed ou NowThis News, qui n’existent que grâce aux partenariats avec Facebook et consorts sont vulnérables, car ils dépendent entièrement de la stratégie des grands réseaux sociaux. Passer au digital, oui, mais pour les grands médias, on préfère conserver et préserver une marque forte, du New York Times au Washington Post, en cas de nouveau changement de paradigme.

« Pour l’instant, personne n’a trouvé la formule magique, conclut Pierre Putois. Certains, pourtant, se prennent à imaginer un modèle complètement nouveau, où les médias pourraient créer leur plateforme commune, à l’image de Spotify pour la musique : un portail payant qui donnerait accès à l’information et proposerait des articles complémentaires –provenant de médias divers- à l’internaute, avec une approche thématique transverse ».

 

Une autre option, que certains grands médias américains étudient déjà, serait de développer une offre liée au fact-checking de l’information disponible. Alors que le consommateur de médias tend vers un scepticisme toujours plus important à l’égard des médias classiques, parfois entretenu par un discours politique très critique à leur égard, proposer une « garantie de vérité » pourrait également s’avérer efficace et constituer une nouvelle source de revenus. En effet, derrière le renouvellement profond et contraint des business models médiatiques outre-Atlantique, se jouent des enjeux politiques fondamentaux, notamment autour de la place de l’information dans nos démocraties.

NDLR: Cet article est aussi paru sur le site de Kablé Communication: http://www.kable-communication.com/fr/2017/04/19/medias-reseaux-sociaux-le-nouveau-businessmodel/