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Les médias au temps de Trump

Résidente aux Etats-Unis, il me paraissait impossible de ne pas aborder le sujet de la presse sous Trump. Ce thème est tellement vaste et nouveau qu’il est extrêmement compliqué de comprendre quelles sont les forces en jeu ici et leurs interactions. Réseaux sociaux, presse traditionnelle, relations publiques et liberté d’expression… l’intrication de tous ces sujets donne lieu à une situation ubuesque qui suscite autour du monde tantôt l’indignation, tantôt le rire ou l’effarement. Comment les journalistes peuvent-ils aujourd’hui composer avec un président qui n’a que faire de la vérité ou de la transparence ? Doivent-ils revoir leurs missions ? Gardent-ils espoir dans le débat démocratique ?

medias au temps de Trump

Mi-février, la grande campagne du New York Times pour la vérité, dont un spot est passé lors de la remise des Oscars, a fait la Une des réseaux sociaux outre-Atlantique. Qui aurait imaginé un jour ce grand quotidien devoir se battre de façon aussi frontale en faveur de la vérité mais en même temps contre le pouvoir politique en place ? 

Depuis le début de la campagne pour la présidentielle, les rapports entre les candidats et les médias ont connu une véritable évolution, devenue une révolution en un an à peine. Aujourd’hui, un mois après l’investiture, les médias n’ont plus d’état d’âme à parler de « mensonges » concernant les déclarations fantaisistes de Donald Trump. Le même New York Times n’a pas hésité à utiliser ce terme dans un de ses grands titres, une première historique.

Pour de nombreux observateurs,  Trump, en érigeant les médias en traîtres, a voulu créer une force d’opposition située hors du scope politique. « Pour lui, la presse poursuit une idéologie contre laquelle il faut s’insurger. Ce point de vue est assez inquiétant pour nous, journalistes, mais également pour la démocratie », explique Julian Sancton, journaliste à Departures Magazine et observateur de la vie politique  américaine. L’Histoire nous apprend en effet que le pouvoir totalitaire commence toujours par manipuler la réalité des faits au profit des dirigeants. Dernièrement, le sénateur Républicain Mc Cain, qui est en théorie un allié du nouveau président, a d’ailleurs comparé la stratégie médiatique du Président Trump aux dictatures qui font taire la presse dès la prise de pouvoir. L’ancien président George W Bush a également souhaité s’exprimer en ce sens, faisant un retour remarqué sur la scène médiatique. Un sujet qui interroge, au point que le livre 1984 de George Orwell se trouve aujourd’hui au sommet des ventes aux Etats-Unis.

Médias et analystes parlent désormais de l’ère de la « post-vérité » dans laquelle tous les points de vue se valent, même s’ils ne reposent plus sur les faits avérés. Comment les médias peuvent-ils se positionner au sein de ce nouvel environnement ? « Les médias américains se gardent aujourd’hui d’afficher des positions idéologiques. Bien au contraire, ils reviennent aux fondamentaux du journalisme : rapporter les faits tels qu’ils se sont déroulés », souligne Julian Sancton. « Les propos de Trump sont tellement choquants et outranciers qu’afficher la vérité suffit amplement à le contredire, explique un autre journaliste correspondant à New-York sous couvert d’anonymat. Mais de son point de vue, ceux qui doutaient déjà des médias –et ils sont hélas nombreux- ne changeront pas d’opinion sur le journalisme ». Dans ce cadre, le New York Times et le Washington Post redoublent aujourd’hui d’efforts pour faire du fact-checking, faisant fi des supporters de Trump… et gagnant au passage de nombreux lecteurs et abonnés. Néanmoins, les débats en interne, au sein même des rédactions, sont intenses : Gerry Baker, du Wall Street Journal, a ainsi demandé à ses équipes d’être neutres, voire de ne pas qualifier de mensonges certains faits erronés énoncés par Trump… avant de se faire tancer par les journalistes. Du côté du New York Times, un vrai examen de conscience collectif est en cours depuis que Liz Spayd la médiatrice du grand quotidien, a demandé aux journalistes de citer plus régulièrement le nom des sources pour asseoir les propos rapportrés et convaincre les lecteurs de la fiabilité de l’information.

A ce qu’il considère comme des attaques personnelles (qui ne sont en fait que l’exposition de faits avérés contredisant ses déclarations), le président Trump a d’ores et déjà répliqué en donnant la parole, en priorité, à des journaux de seconde zone lors de ses conférences de presse à la Maison Blanche ou même en refusant d’inviter certains médias (CNN, en l’occurence) à ses briefings. On a assisté à des scènes cocasses où le journaliste montre patte blanche en complimentant le président avant de lui adresser une question, En un mois et demi, une véritable guerre s’est engagée sur fond d’insultes dont l’expression « Fake news » est le parangon et LE leitmotiv du président sur Twitter. Cette escalade est-elle durable ? « On ne peut rien prédire mais les choses ne vont pas aller en s’arrangeant, de mon point de vue, explique un journaliste américain en off. Quand on entend Steve Bannon, premier conseiller de Trump, antisémite notoire, architecte de l’Alt Right et ancien patron du journal d’extrême droite Breitbart News, annoncer que « les médias doivent se taire» ou que « l’obscurité est bonne », on est en droit de s’attendre au pire ». D’ailleurs, lorsque l’on examine de près le discours du nouveau président, il emprunte ouvertement le lexique de l’extrême droite. La seule expression « America First » est une reprise du discours de Charles Lindberg, leader d’un mouvement d’extrême droite des années 30. « Néanmoins, plusieurs éléments jouent en la défaveur de Trump et sont autant d’angles d’attaques potentiels pour la presse, tempère Julian Sancton. Par exemple, il ne vérifie pas la légalité de ses ordres, ne consulte pas les spécialistes : ce désir de la jouer solo peut entraîner sa chute ». De plus, la presse peut l’attaquer sur son absence de transparence : il n’a toujours pas publié sa déclaration d’impôts et la liste de ses investissements à l’étranger, une première depuis Nixon ! Enfin, Trump a, depuis longtemps, un rapport ambivalent aux médias: il lit la presse et regarde les chaînes d’information en continu tous les jours. Il est obsédé par son image publique, au point de recouvrir les murs de son bureau à la Trump Tower d’articles le concernant. Cette obsession peut constituer un véritable levier d’action pour la presse.

A ce jour, les journalistes américains n’ont pas organisé de mouvement commun afin de contrer cette politique qui met à mal la liberté d’informer le public. C’est encore trop tôt… Cependant, certains réseaux journalistiques, comme Pro Publica, couvrent de façon indépendante cette présidence et collaborent à de nombreux reportages. Les médias vont avoir un rôle crucial à jouer dans les prochains mois en tant que contre-pouvoir… mais nul ne peut se vanter de connaître l’issue de cette confrontation !

Par Anna Casal

I am an accomplished public relations professional with a strong background in finance, start-ups, law and crisis communications. I also spent over four years as a financial journalist in Paris. I believe I have a sound knowledge of French PR and its media market. I recently moved to the fascinating city of New-York.

As I have a deep passion for news and communications, I started to write articles and op-eds focused on the new PR trends and innovations in the USA. On a free-lance basis, I am also helping start-ups to innovate in their communication approach both in France and in the USA.

I received a Bachelor’s Degree in Philosophy from Nanterre University (Paris X) and an MBA from ESSEC, #3 European Business School according to the Financial Times 2014 ranking.

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